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A L'ACADEMIE FRANÇAISE. 367

nements de rois, des processions, des combats, des meurtres, des sorciers, des cérémonies, des mariages, des enterrements ; il y court en foule, il y entraîne longtemps la Lonne compagnie, qui pardonne à ces énormes défauts pour peu qu'ils soient ornés de quelques beautés, et même quand ils n'en ont aucune. Son- geons que la scène romaine fut plongée dans la même barbarie du temps même d'Auguste. Horace s'en plaint à cet empereur dans sa belle épître Quum tôt sustineas^; et c'est pourquoi Quinti- lien prononça depuis que les Romains n'avaient point de tragédie, in tragœdia maxime claudicamus .

Les Anglais n'en ont pas plus que les Romains. Leurs avan- tages sont assez grands d'ailleurs.

Il est vrai, que l'Angleterre a l'Europe contre elle en ce seul i point; la preuve en est qu'on n'a jamais représenté, sur aucun théâtre étranger, aucune des pièces de Shakespeare ^ Lisez ces pièces, messieurs, et la raison pour laquelle on ne peut les jouer ailleurs se découvrira bientôt à votre discernement. 11 en est de cette espèce de tragédie comme il en était, il n'y a pas longtemps, de notre musique 3; elle ne plaisait qu'à nous.

J'avoue qu'on ne doit pas condamner un artiste qui a saisi le ! ', goût de sa nation ; mais on peut le plaindre de n'avoir contenté qu'elle. Apelle et Phidias forcèrent tous les différents États de la Grèce et tout l'empire romain à les admirer. Nous voyons au- jourd'hui le Transylvain, le Hongrois, le Courlandois, se réunir avec l'Espagnol, le Français, l'Allemand, l'Italien, pour sentir également les beautés de Virgile et d'Horace, quoique chacun de ces peuples prononce différemment la langue d'Horace et de Virgile, Vous ne trouvez personne en Europe qui pense que les grands auteurs du siècle d'Auguste soient au-dessous des singes et des babouins. Sans doute Pantolabus et Crispinus écrivirent contre Horace de son vivant, et Virgile essuya les critiques de Bavius; mais, après leur mort, ces grands hommes ont réuni les

��1. Livre II, épître i, vers 1.

2. Quand Ducis, successeur de Voltaire à l'Académie, reproduisit sur notre scène plusieurs des sujets traités par Shakespeare, il imita ce poëte plutôt qu'il ne le traduisit; et il se garda bien de faire disserter les personnages sur les trois choses que Vivrognerie provoque. Le rat disparut dans Hamlet; il ne fut plus question de maiden-liead dans lioméo, ni de bête à deux dos dans le Maure de Venise. (Cl.)

— Ducis avait déjà donné Handet (1770), et Roméo et Juliette (1772).

3. Les éditions antérieures à celle de Lequien portaient : « musique instru- mentale. »

4. Voyez page 363.

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