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A L'ACADÉMIE FRANÇAISE. 353

neille tâcha de se prêter à cette grande variété : non-seulement il traduisit les vers blancs en vers blancs, les vers rimes en vers rimes, la prose en prose, mais il rendit figure pour figure. Il opposa l'ampoulé à l'enflure, la naïveté et même la bassesse à tout ce qui est naïf et bas dans foriginal. C'était la seule manière de faire connaître Shakespeare. Il s'agissait d'une question de littérature, et non d'un marché de typographie : il ne fallait pas tromper le public.

Quand le traducteur reproche à la France de n'avoir aucune traduction exacte de Shakespeare, il devait donc traduire exac- tement. Il ne devait pas, dès la première scène de Jules César, mutiler lui-même son dieu de la tragédie. Il copie fidèlement son modèle, je l'avoue, en introduisant sur le théâtre des charpen- tiers, des bouchers, des cordonniers, des savetiers, avec des sénateurs romains; mais il supprime tous les quolibets de ce savetier qui parle aux sénateurs. Il ne traduit pas la charmante équivoque sur le mot qui signifie âme, et sur le mot qui veut dire semelle de soulier^ Une telle réticence n'est-elle pas un sacri- lège envers son dieu?

Quel a été son dessein quand dans la tragédie iVOthello, tirée du roman de Cintio et de l'ancien théâtre de Milan, il ne fait rien dire au bas et dégoûtant lago, et à son compagnon Rode- rigo, de ce que Shakespeare leur fait dire ?

(( Morbleu! vous êtes volé; cela est honteux, vous dis-je; mettez votre robe, on crève votre cœur, vous avez perdu la moitié de votre âme. Dans ce moment, oui, dans ce moment, un vieux bélier noir saillit votre brebis blanche... Morbleu! vous êtes un de ceux qni ne serviraient pas Dieu si le diable vous le com- mandait. Parce que nous venons vous rendre service, vous nous traitez de rufiens-. Vous avez une fille couverte en ce moment par un cheval de Barbarie; vous entendrez hennir vos petits-fils ;

��les a si bien nommées) doivent être jouées à Paris et à Versailles, au lieu de nos chefs-d'œuvre immortels, comme l'a osé prétendre M. Letourneur? {Note de Voltaire.)

— Cette note est posthume. Il paraît, d'après îes premières lignes, que Vol- taire voulait revenir sur VApologie de ShakesjJeare, dont Beuchot a parlé dans son Avertissement. Peut-être ce qu'il voulait ajouter est-il ce qui se lit dans sa Lettre à r Académie, en tête d'Irène; voyez tome VU, pages 329 et suivantes.

1. Voltaire a déjà parlé de cette équivoque, tome VII, page 4i0. L'acteur anglais prononce le mot sole ( semelle ) comme on prononce le mot soûl (âme).

2. Terme lombard qui ne fut adopté que depuis en Angleterre. (Avfe de Vol- taire.)

30. — MÉLANGES. IX. 23

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