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accomplis quand il fut circoncis[1]. Abraham et Ismaël furent circoncis le même jour, et tous les hommes de sa maison, tant les natifs que les achetés, tout fut circoncis.

Or Dieu vint trouver Abraham dans la vallée de Mambré, assis devant sa tente dans la chaleur du jour ; et Abraham, ayant levé les yeux, vit trois hommes à côté de lui, et, les ayant vus, il courut au plus vite et les salua jusqu’à terre ; et leur dit : Messeigneurs, si j’ai trouvé grâce devant tes yeux[2], ne passe pas au delà de l’habitation de ton serviteur ; mais j’apporterai un peu d’eau pour laver vos pieds ; reposez-vous sous l’arbre. Je vous donnerai une bouchée de pain ; confortez-vous ; après cela vous passerez, car c’est pour manger que vous êtes venu vers votre serviteur ; et ils lui répondirent : Fais comme tu l’as dit, Abraham entra vite dans la tente de Sara, et lui dit : Dépêche-toi, pétris quatre-vingt-sept pintes de farine[3], et fais des pains cuits sous la cendre. Pour lui, il courut au troupeau, où il prit un veau très-tendre et très-bon, et il le donna à un valet pour le faire cuire. Il prit aussi du kaimak et du lait ; et, le veau cuit, il se tint debout sous l’arbre vis-à-vis d’eux. Après qu’ils eurent mangé, ils lui dirent : Où est Sara ta femme ? Et il répondit : Elle est dans sa tente. L’un d’eux lui dit : Je reviendrai dans un an en revenant, si je suis en vie[4], et ta femme Sara aura un fils. Sara ayant en-

  1. Les mahométans, qui se croient descendus d’Ismaël, ou qui représentent la race d’Ismaël, coupent encore le prépuce à leurs enfants, quand ils ont treize ans ; mais les Juifs le coupent au bout de huit jours. (Note de Voltaire.)
  2. Voici un nouvel exemple du singulier joint avec le pluriel. Il y a ici trois hommes, et ces trois hommes sont trois dieux, et Abraham ne parle qu’à un seul, et ensuite il parle à tous trois. Quelques-uns ont cru que cela signifiait la sainte Trinité. Cette explication a été combattue, parce que le mot de trinité ne se trouve dans aucun endroit de l’Écriture. Il ne nous appartient pas d’approfondir cette question. (Id.)
  3. Trois sata de farine font un épha ; et si l’épha contient vingt-neuf pintes, trois éphata de farine font quatre-vingt-sept pintes. C’était prodigieusement de pain. L’usage était chez les Orientaux de servir d’un seul plat en grande quantité. Le kema ou kaimak qu’Abraham fit lui-même était une espèce de fromage à la crème dont la mode a été chez les mahométans : ils ont un conte intitulé le Kaimak et le Serpent, dont ils font grand cas, et qui a été traduit par Senecé*, valet de chambre d’Anne d’Autriche, mère de Louis XIV. Il est dit dans l’histoire des Arabes qu’on servit du kaimak au repas de noces de Mahomet avec Cadishé. (Id.)

    * Voyez tome XIV, page 137.

  4. Si je suis en vie est une façon de parler ordinaire. Ni un ange ni un dieu ne pouvait douter qu’il ne dût être en vie dans un an. Et comme ces voyageurs ne se donnaient point pour des dieux, ils pouvaient emprunter le langage des hommes ; mais puisqu’ils prédirent l’avenir, ils se donnaient au moins pour prophètes. (Id.)