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DE M. DE LA VISCLÈDE. 327

le petit en aucun genre, quoiqu'il eût dans l'esprit autant de déli- catesse que de grandeur. Il ne goûta les petits vers de Benserade que parce qu'ils avaient rapport aux fêtes magnifiques qu'il donnait.

De plus, La Fontaine était d'un caractère à ne se pas présenter à la cour de ce monarque. Ses distractions continuelles, son extrême simplicité, réjouissaient ses amis, et n'auraient pu plaire à un homme tel que Louis XIV.

La Bruyère s'est servi de couleurs un peu fortes pour peindre notre fabuliste ; mais il y a du vrai dans ce portrait : « Un homme paraît grossier, lourd, stupide ; il ne sait pas parler ni raconter ce qu'il vient de voir : s'il se met à écrire, c'est le modèle des bons contes, etc. ^. »

La Bruyère, qui peignit tous ses contemporains, en dit autant de Corneille -, non que Corneille fût un bon conteur. C'était autre chose : il était souvent très-sublime dans ses bonnes pièces. Boileau ne faisait peut-être pas assez de cas de La Fontaine et de Corneille ; il n'était sensible qu'à un style toujours pur, il ne pouvait aimer que la perfection.

Soyez sûr, monsieur, qu'il est très-faux que La Fontaine déplût au roi, comme on l'a dit, pour avoir fait des vers en faveur du surintendant Fouquet. Pellisson, défenseur très-hardi de ce mi- nistre, et même ayant été sa victime, devint un des favoris de Louis XIV, et fit une grande fortune. Son éloquence touchante, son érudition utile, la connaissance des affaires, et la souplesse de son esprit, en firent un homme d'État. La Fontaine n'avait rien de tout cela. Uniquement borné à son talent, et incapable même de le faire valoir, il n'e^t pas étonnant qu'il ne fût pas assez remarqué par Louis XIV.

Lulli lui nuisit beaucoup. Vous savez que tout est cabale parmi les gens de lettres, comme parmi les prêtres. La cabale contre Quinault, l'un des grands ornements de ce mémorable siècle, ayant forcé Lulli à recourir à d'autres pour ses opéras, il choisit La Fontaine. Avouons que le fabuliste, faisant parler ses héros du style de Jeannot Lapin et de dame Belette, ne pouvait réussir après Atys et Thésée. Lulli était ])lein d'esprit et de goût ; plus il en avait, plus il lui était impossible de mettre en musique de telles paroles. Il n'était pas de ces gens qui disent qu'il est égal de chanter la gazette ou Armide, et qu'il n'y a rien au monde de

��1. Les Caractères, chap. xii, Des Jugements.

2. Dans le même chapitre.

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