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et Arioch, roi de Pont, et Chodorlahomor, roi des Élamites, et Thadal, roi des nations[1], firent la guerre contre Bara, roi de Sodome, et contre Bersa, roi de Gomorrhe, contre Sennaab, roi d’Adama, et contre Séméber, roi de Séboïm, et contre le roi de Bala, autrement Ségor… Et ils prirent toute la substance des Sodomites et de Gomorrhe, et tout ce qu’il y avait à manger, et s’en allèrent. Ils prirent aussi toute la substance de Loth, fils du frère d’Abram, qui liabitait à Sodome… Abram ayant entendu que son frère Loth était pris, dénombra trois cent dix-huit de ses valets[2], et poursuivit les rois vainqueurs jusqu’à Dan, et les ramena jusqu’à Hoba, qui est à la gauche de Damas ; et il ramena toute la substance, et Loth son frère, et les femmes, et tout le peuple…

Or, Saraï, femme d’Abram, n’avait point engendré d’enfants ; mais, ayant sa servante égyptienne nommée Agar, elle dit à son mari : Dieu m’a fermée, afin que je n’enfantasse pas ; couche avec ma servante, peut-être que j’en aurai des enfants ; et Abram acquiesça à cette prière[3] ; mais Agar, voyant qu’elle avait conçu,

  1. Puisqu’il y avait un grand roi d’Égypte, il pouvait y avoir aussi de grands rois de Sennaar, de Pont, de Perse, et des autres rois des nations. Il paraît étrange que de si puissants monarques se soient ligués de si loin contre des chefs de cinq petites bourgades, qui habitaient un pays aride, sauvage et désert.

    L’auteur sacré dit ici que ces grands rois se donnèrent rendez-vous dans la vallée des bois, qui est aujourd’hui le lac Asphaltite, ou la mer salée. Vous verrez qu’ensuite il ne dit point que cette vallée des bois ait été changée en mer salée, et qu’il insinue même le contraire. (Note de Voltaire.)

  2. On fait ici plusieurs difficultés. On demande comment Abraham, qui n’avait pas un pouce de terre dans ce pays, avait pourtant un assez grand nombre de domestiques pour en choisir trois cent dix-huit ? Et comment, avec cette poignée de valets, il défit les armées de cinq rois si puissants, et les poursuivit jusqu’à Dan, qui n’était pas encore bâti ? Quelques interprètes ont substitué Damas à Dan ; mais il y a un chemin de cent milles du pays de Sodome à Damas ; et le texte dit ensuite qu’il les poursuivit jusqu’auprès de Damas.

    Cette guerre d’Abraham contre tant de rois semble avoir quelque rapport avec les anciennes traditions persanes, dont on trouve des vestiges dans le savant Hyde. Les Persans prétendaient qu’Abraham avait été leur prophète et leur roi, et qu’il avait eu une guerre contre Nembrod. Il est constant, comme nous l’observons ailleurs*, qu’ils appelèrent leur religion milat Abraham, ou Ibrahim ; kish Abraham, ou Ibrahim. On a prétendu qu’il était le Brama des Indiens ; qu’ensuite les Persans l’adoptèrent, et qu’enfin les Juifs, qui vinrent et qui écrivirent très-longtemps après, s’approprièrent Abraham. Il résulte que ce nom avait été fameux dans l’Orient de temps immémorial.

    Nous nous en tenons ici à l’histoire hébraïque. Peut-être un jour ceux qui voyagent dans l’Inde, et qui apprennent la langue sacrée des anciens brachmanes, nous en apprendront-ils davantage, (Id.)

    * Tome XI, page 46 ; XVII, 3

  3. Cette adoption était fort commune en Orient. Un père ou une mère mettait