Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Or Tharé, descendant de Sem, à l’âge de soixante et dix ans engendra Abram, et Nachor, et Aran ; et Tharé, ayant vécu deux cent cinq ans, mourut à Haran ; et Dieu dit à Ahram : Sors de ta terre, de ta parenté, de la maison de ton père, et viens dans la terre que je te montrerai, et je te ferai une grande nation, et je magnifierai ton nom et tu seras béni, et je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ceux qui te maudiront, et toutes les familles de la terre universelle seront bénies en toi. Ainsi Abram s’en alla comme Dieu le lui commandait, et il s’en alla avec Loth. Il avait soixante et quinze ans quand il sortit d’Haran[1].

Et il prit Saraï sa femme, et Loth son neveu, et toute la substance qu’il possédait, et les âmes qu’il avait faites en Haran, et ils sortirent pour aller dans la terre de Chanaan[2]… Abram s’avança jusqu’à Sichem et à la vallée illustre. Or le Chananéen était alors dans cette terres[3]… et le Seigneur apparut à Abram, et lui dit : Je donnerai à ta postérité cette terre. Abram dressa un autel au Seigneur, qui lui était apparu… Or, la famine étant dans le pays,

    commentateurs ont recherché quelles langues mères naquirent tout d’un coup de cette dispersion des peuples ; mais ils n’ont jamais fait attention à aucune des langues anciennes qu’on parle depuis l’Indus jusqu’au Japon. Il serait curieux de compter le nombre des différents langages qui se parlent aujourd’hui dans tout l’univers. Il y en a plus de trois cents dans ce que nous connaissons de l’Amérique, et plus de trois mille dans ce que nous connaissons de notre continent. Chaque province chinoise a son idiome, le peuple de Pékin entend très-difficilement le peuple de Kanton ; et l’Indien des côtes du Malabar n’entend point l’Indien de Bénarès. Au reste, toute la terre ignora le prodige de la tour de Babel : il ne fut connu que des écrivains hébreux. (Note de Voltaire.)

  1. Il semble d’abord évident, par le texte, que, Tharé ayant engendré Abraham à soixante et dix ans, et étant mort à deux cent cinq, Abraham avait cent trente-cinq ans et non pas soixante et quinze, quand il quitta la Mésopotamie. Saint Etienne suit ce calcul dans son discours aux Juifs. Cette difficulté a paru inexplicable à saint Jérôme et à saint Augustin. Nous nous garderons bien de croire entendre ce que ces grands saints n’ont point entendu. (Id.)
  2. Il y a d’Haran à Chanaan deux cents lieues environ : il fallait un ordre exprès de Dieu pour quitter le pays le plus fertile et le plus beau de la terre, et pour entreprendre un si long voyage vers un pays moins bon, habité par quelques barbares dont Abraham ne pouvait entendre la langue. (Id.)
  3. Ces mots : Or le Chananéen était alors dans cette terre, ont été le sujet d’une grande dispute entre les savants. Il semble en effet que les Chananéens avaient été chassés de cette terre lorsque l’auteur sacré écrivait. Cependant ils y étaient du temps de Moïse ; et Josué ne saccagea qu’une trentaine de bourgs des Chananéens : les Juifs furent depuis, tantôt esclaves, tantôt maîtres d’une partie du pays, jusqu’à David. C’est ce qui a fait conjecturer que la Genèse n’a pu être écrite du temps de Moïse, mais après David. Nous dirons, en leur lieu, les autres raisons de cette opinion ; mais nous avertissons qu’il faut s’en rapporter à l’Église, dont les décisions (comme on sait) sont infaillibles, tandis que les opinions des doctes ne sont que probables, (Id.)