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d’Amadath de la race d’Agag, et mit son trône au-dessus du trône de tous les satrapes ; et tous les serviteurs du roi pliaient les genoux devant lui, et l’adoraient (le saluaient en lui baisant la main, ou le saluaient en portant leur main à leur bouche). Le seul Mardochée ne pliait pas les genoux devant lui, et ne portait pas sa main à sa bouche... Aman, ayant appris qu’il était juif, voulut exterminer toute la nation juive…[1]. ... et on jetta le sort devant Aman pour savoir quel mois et quel jour on devait tuer tous les juifs ; et le sort tomba sur le douzieme mois, etc…[2]. Le roi commanda qu’on allât chez tous les juifs dans tout l’empire ; qu’on leur ordonnât de s’assembler, et de tuer tous

  1. c’est une coutume très antique en Asie de se prosterner devant les rois, et même devant leurs principaux officiers. Nous avons traduit dans notre langue cette salutation par le mot adoration, qui ne signifie autre chose que baiser sa main. Mais ce mot adoration, étant aussi employé pour marquer le respect dû à la divinité, a produit une équivoque chez plusieurs nations. Les peuples occidentaux, toujours très-mal informés des usages de l’orient, se sont imaginés qu’on saluait un roi de Perse comme on adore la divinité. Mardochée, né et nourri dans l’orient, ne devait pas s’y méprendre ; il ne devait pas refuser de faire au satrape Aman une révérence usitée dans le pays. On lui fait dire dans ce livre, qu’il ne voulait pas rendre au ministre du roi un honneur qui n’est dû qu’à Dieu ; ce n’est là que la grossiéreté orgueilleuse d’un homme impoli, qui se glorifie secretement d’être oncle d’une reine. Il est vrai qu’il paraît bien improbable qu’on ne sût pas dans le serrail qu’Esther était sa niece. Mais si on se prête à cette supposition, si Mardochée n’est regardé que comme un pauvre juif de la lie du peuple, pourquoi ne salue-t-il pas Aman comme tous les autres juifs le saluent ? Pour cet Aman, qui veut faire pendre toute une nation parce qu’un pauvre de cette nation ne lui a pas fait la révérence, avouons que jamais une folie si ridicule et si horrible ne tomba dans la tête de personne. Les juifs ont pris cette histoire au pied de la lettre ; ils ont institué une fête en l’honneur d’Esther ; ils ont pris le conte allégorique d’Esther pour une avanture véritable, parce que la prétendue élévation d’une juive sur le trône de Perse était une consolation pour ce peuple presque toujours esclave. Si Aman était en effet de la race de ce roi Agag que le prophete Samuel avait haché en morceaux de ses propres mains, il pouvait être excusable de détester une nation qui avait traité ainsi l’un de ses ayeux ; mais on n’égorge point tout un peuple pour une révérence omise.
  2. les critiques trouvent, avec quelque apparence de raison, Aman bien imbécille de faire afficher et publier dans tout l’empire le mois et le jour où l’on devra tuer tous les juifs. C’était les avertir trop à l’avance, et leur donner tout le temps de s’enfuir, et même de se venger : c’est une trop grande absurdité. Tout le reste de cette histoire est dans le même goût ; il n’y a pas un seul mot de vraisemblable. Où l’écrivain de ce roman a-t-il pris qu’on coupait le cou à toute femme ou concubine du roi qui entrait chez lui sans être appellée ? Cet Aman pendu à la potence dressée pour Mardochée, et tous les épisodes de ce conte du tonneau, ne sont-ils pas aegri somnia ? mais voici le plus rare du texte.