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vers la Médie. Il faut supposer aussi que Salmanazar était alors maître de la Médie : ce qui serait difficile à prouver.

Le livre de Tobie est tout merveilleux. Calmet, dans sa Préface, dit ce grand mot sans y penser : « S'il fallait rejeter le merveilleux et l'extraordinaire, où serait le livre sacré qu'on pût conserver? »


Tobie, de la tribu de Nephtali, fut mené captif du temps de Salmanazar roi des assyriens…[1]. et il vint à Ragès ville des medes, ayant dix talents d’argent des dons dont il avait été honoré par le roi…[2]. et voyant que Gabélus, de sa tribu, était fort pauvre à Ragès, il lui prêta dix talents d’argent sur son billet... il arriva qu’un jour s’étant lassé à ensevelir des morts, il revint en sa maison, et s’endormit[3] contre une muraille ; et pendant qu’il dormait il tomba de la merde chaude d’un nid d’hirondelle sur ses yeux, et il devint aveugle... pour ce qui est de sa femme, elle allait tous les jours travailler à faire de la toile et gagnait sa vie[4]. En ce même jour il arriva que Sara, fille de Raguel en Ragès ville des medes, fut très émue d’un reproche que lui fit une servante de la maison... Sara avait déjà eu sept

  1. il serait heureux pour les commentateurs, que Salmanazar eût fait lever de bonnes cartes géographiques de ses états ; car on a bien de la peine à débrouiller comment, étant roi de Ninive sur le Tigre, il avait pu passer par-dessus le royaume de Babylone pour aller enchaîner les habitants des bords du Jourdain, et conquérir jusqu’aux voisins de la mer d’Hircanie : on ne comprend rien à ces empires d’Assyrie et de Babylone. Mais passons.
  2. les critiques voudraient que l’auteur, quel qu’il soit, de l’histoire de Tobie, eût dit comment ce pauvre homme avait gagné dix talents d’argent auprès du roi Salmanasar, dont il ne pouvait pas plus approcher qu’un esclave chrétien ne peut approcher du roi de Maroc. Dix talents d’argent ne laissent pas de faire vingt mille écus, au moins, monnoie de France. C’est beaucoup, assurément, pour le mari d’une blanchisseuse. Il s’en va à Ragès en Médie, à quatre cents lieues de Ninive, pour prêter ses vingt mille écus au juif Gabélus, qui était fort pauvre, et qui probablement serait hors d’état de les lui rendre : cela est fort beau.
  3. revenu à Ninive il s’endort au pied d’un mur. Un homme, assez riche pour prêter vingt mille écus dans Ragès, devrait au moins avoir une chambre à coucher dans Ninive.
  4. les critiques naturalistes disent que la merde d’hirondelle ne peut rendre personne aveugle ; qu’on en est quitte pour se laver sur le champ ; qu’il faudrait dormir les yeux ouverts pour qu’une chiasse d’hirondelle pût blesser la conjonctive ou la cornée, et qu’enfin il aurait fallu consulter quelque bon médecin avant d’écrire tout cela. Pour ce qui est de Sara, que Mr Basnage soutient, dans ses antiquités judaïques, avoir été blanchisseuse et ravaudeuse, nous n’avons rien à en dire. Il n’en est pas de même de Sara fille de Raguel, juive captive en Ragès.