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Salmanasar roi des assyriens marche contre Ozée fils d’éla, qui régnait sur Israël à Samarie. Et Ozée fut asservi à Salmanasar, et lui paya tribut[1].

  1. qui était ce Téglatphalassar et ce Salmanazar, par qui commença l’extinction de la lampe d’Israël ? Ces rois régnaient-ils à Ninive ou à Babylone ? à qui croire, de Ctésias ou d’Hérodote, d’Eusebe ou de Syncelle extrait par Photius ? Y a-t-il eu chez les orientaux un Bélus, un Ninus, une Sémiramis, un Ninias, qui sont des noms grecs ? Tonas Concoleros est-il le même que Sardanapale ? Et ce Sardanapale était-il un fainéant voluptueux, ou un héros philosophe ? Chiniladam était-il le même personnage que Nabucodonosor ? Presque toute l’histoire ancienne trompe notre curiosité : nous éprouvons le sort d’Ixion en cherchant la vérité ; nous voulons embrasser la déesse, et nous n’embrassons que des nuages. Dans cette nuit profonde que dois-je faire ? On m’a chargé de commenter une petite partie de la bible, et non pas l’histoire de Ctésias et d’Hérodote. Je m’en tiens à ce que les hébreux eux-mêmes racontent de leurs disgraces et de leur état déplorable. Un roi d’orient, qu’ils appellent Salmanazar, vient enlever dix tribus hébraïques sur douze, et les transporte dans diverses provinces de ses vastes états. Y sont-elles encore ? En pourrait-on retrouver quelques vestiges ? Non, ces tribus sont ou anéanties, ou confondues avec les autres juifs. Il est vraisemblable, et presque démontré, qu’elles n’avaient aucun livre de leur loi lorsqu’elles furent amenées captives dans des déserts en Médie et en Perse ; puisque la tribu de Juda elle-même n’en avait aucun sous le regne du roi Josias, environ soixante et dix ans avant la dispersion des dix tribus, et que dans cet espace de temps tout le peuple fut continuellement affligé de guerres intestines et étrangeres, qui ne leur permirent gueres de lire. Il peut se trouver encore quelques-uns des descendants des dix tribus vers les bords de la mer Caspienne, et mêmes aux Indes, et jusqu’à la Chine ; mais les prétendus descendants des juifs, qu’on dit avoir été retrouvés en très petit nombre dans ces pays si éloignés, n’ont aucune preuve de leur origine : ils ignorent jusqu’à leur ancienne langue ; ils n’ont conservé qu’une tradition vague, incertaine, affaiblie par le temps. Les deux autres tribus de Juda et de Benjamin, qui revinrent à Jérusalem avec quelques lévites après la captivité de Babylone, ne savent pas même aujourd’hui de quelle tribu ils descendaient. Si donc les juifs, qui avaient habité dans Jérusalem depuis Cyrus jusqu’à Vespasien, n’ont pu jamais connaître leurs familles, comment les autres juifs, dispersés depuis Salmanazar vers la mer Caspienne et en Scythie, auraient-ils pu retrouver leur arbre généalogique. Il y eut des juifs qui régnaient dans l’Arabie heureuse sur un petit canton de l’Yemen du temps de Mahomet dans notre septieme siecle, et Mahomet les chassa bientôt : mais c’étaient, sans doute, des juifs de Jérusalem, qui s’étaient établis dans ce canton pour le commerce, et à la faveur du voisinage. Les dix tribus, anciennement dispersées vers la Mingrélie, la Sogdiane et la Bactriane, n’avaient pu de si loin venir fonder un petit état en Arabie. Enfin, plus on a cherché les traces des dix tribus, et moins on les a retrouvées. On sait assez que le fameux juif espagnol Benjamin De Tudele, qui voyagea en Europe, en Asie et en Afrique au commencement de notre douzieme siecle, se vanta d’avoir eu des nouvelles de ces dix tribus que l’on cherchait en vain. Il compte environ sept cents quarante mille juifs vivants de son temps dans les trois parties de notre hémisphere, tant de ses freres dispersés par Salmanazar, que de ses freres dispersés depuis Titus et depuis Adrien. Encore ne dit-il pas si dans ces sept cents quarante mille sont compris les enfants et les femmes ; ce qui ferait, à deux enfants par famille, deux millions neuf cents soixante mille juifs. Or comme