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faut que ton dieu me le pardonne. élisée lui répondit : va t’en en paix…[1]. Quelque temps après, Benadad roi d’Assyrie assembla toute son armée : il monta, et vint assiéger Samarie… or il y avait grande famine en Samarie ; et la tête d’un âne se vendait quatre-vingts écus, et un quart de boisseau de crotins de pigeons cinq écus[2]. Et le roi d’Israël passant par les murailles, une femme s’écria et lui dit : ô roi monseigneur ! Sauve moi. Et le roi lui répondit : comment puis-je te sauver ? Je n’ai ni pain, ni vin ; que veux-tu me dire ? Et la femme repartit : voilà ma voisine qui m’a dit, donne-moi ton fils afin que nous le mangions aujourd’hui, et demain nous mangerons le mien ; nous avons donc fait cuire mon fils, et nous l’avons mangé ; je lui ai dit le lendemain : fesons cuire aussi ton fils afin que nous le mangions ; elle n’en veut rien faire ; elle a caché son enfant. Le roi, ayant entendu cela, déchira ses vêtemens, et passa vite la muraille. Il dit : que Dieu m’extermine si la tête d’élisée, fils de Saphat, demeure aujourd’hui sur ses épaules, car c’est lui qui nous a envoyé la famine[3]. Or élisée était assis dans sa maison. Des vieillards étaient avec lui. Le roi envoya donc vers lui un homme. Mais élisée dit

  1. il est bien juste que le général du roi de Syrie, ayant été guéri de la galle par élisée, confesse que le dieu d’Israël est le plus grand de tous les dieux, et jure qu’il n’en servira jamais d’autre ; mais il est bien étrange que dans le même moment il demande la permission d’adorer le dieu Rimnon. Il est encore plus étrange que le juif élisée lui donne cette licence sans restriction, sans modification. Si c’est par esprit de tolérance, élisée soit beni ! Salut à élisée ! Ce n’est pourtant pas le premier juif qui ait trouvé bon qu’on adorât d’autres dieux qu’Adonaï. Jacob avait trouvé bon que son beau pere, et ses deux femmes, et ses deux servantes, eussent d’autres dieux ; un petit fils de Mosé, ou Moyse, avait été prêtre des dieux de Michas dans la tribu de Dan ; Salomon, et presque tous ses successeurs, adoraient des dieux étrangers ; et malgré les lévites, malgré l’atroce et cruelle stupidité de la nation, les juifs furent souvent plus tolérants qu’on ne pense.
  2. et toujours famine dans la terre promise !
  3. il faut avouer que, si élisée avait envoyé la famine par malice dans la terre promise, le roi Joram aurait été excusable de lui faire couper le cou ; puisqu’élisée aurait été cause que les meres mangeaient leurs enfans. Pour la femme, qui avait donné la moitié de son fils pour souper à sa voisine, c’est une grande question, dit Du Marsais, si elle avait le droit de manger à son tour la moitié de l’enfant de cette comere selon son marché ; il y a de grandes autorités pour et contre. Ce passage de Du Marsais fait trop voir qu’il ne croyait point cette avanture, et qu’il la regardait comme une de ces exagérations que les juifs se permettaient si souvent.