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Il répondit : J’ai entendu ta voix dans le paradis, et j’ai craint, parce que j’étais nu, et je me suis caché.

Et Dieu lui dit : Qui t’a appris que tu étais nu ? Il faut que tu aies mangé ce que je t’avais ordonné de ne pas manger.

Et Adam dit : La femme que tu m’as donnée m’a donné du fruit du bois, et j’en ai mangé.

Et Dieu dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? Elle répondit : Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé.

Et le Seigneur Dieu dit au serpent : Parce que tu as fait cela, tu seras maudit entre tous les animaux et bêtes de la terre ; tu marcheras sur ton ventre[1] dorénavant, et tu te nourriras de terre toute ta vie.

Et je mettrai des inimitiés entre tes enfants et les enfants de la femme : tu chercheras à les mordre au talon, et ils chercheront à t’écraser la tête.

Il dit aussi à la femme : Je multiplierai tes misères et tes enfantements. Tu feras des enfants en douleur, et tu seras sous la domination de ton mari[2].

Et il dit à Adam : Parce que tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé du bois que je t’avais défendu de manger, la terre sera maudite en ton travail, et tu mangeras en tes travaux tous les jours de ta vie, et la terre portera épines et chardons, et tu mangeras l’herbe de la terre, et tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage[3], jusqu’à ce que tu retournes en terre, d’où

  1. Une preuve indubitable que la Genèse est donnée pour une histoire réelle, c’est que l’auteur rend ici raison pourquoi le serpent rampe. Cela suppose qu’il avait auparavant des jambes et des pieds avec lesquels il marchait. On rend aussi raison de l’aversion qu’ont presque tous les hommes pour les serpents. Il est vrai que les serpents ne mangent point de terre ; mais on le croyait, et cela suffit. (Note de Voltaire.)
  2. L’auteur rend aussi raison des douleurs de l’enfantement, et de l’empire de l’homme sur la femme. Il est vrai que ces punitions ne sont pas générales, et qu’il y a beaucoup de femmes qui accouchent sans douleur, et beaucoup qui ont un pouvoir absolu sur leurs maris ; mais c’est assez que l’énoncé de l’auteur sacré se trouve communément véritable. (Id.)
  3. L’auteur écrivait en Palestine, où l’on mangeait du pain, et en effet, les laboureurs ne le mangent qu’à la sueur de leur visage ; mais tous les riches le mangent plus à leur aise. L’auteur se serait exprimé autrement s’il avait vécu dans les vastes pays où le pain était inconnu, comme dans les Indes, dans l’Amérique, dans l’Afrique méridionale, et dans les autres pays où l’on vivait de châtaignes et d’autres fruits. Le pain est encore inconnu dans plus de quinze cents lieues de côtes de la mer Glaciale ; mais l’auteur, écrivant pour des Juifs, ne pouvait parler que de leurs usages.

    On fait une autre objection ; c’est qu’il n’y avait point de pain du temps d’Adam ; que par conséquent si Dieu lui parla, s’il l’habilla lui et sa femme, s’il