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La femme lui répondit : Nous mangeons de tout fruit, de tout arbre du jardin ; mais de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu nous a défendu d’en manger, de peur qu’en le touchant nous ne mourions.

Le serpent dit à la femme : Vous ne mourrez point, car dès que vous aurez mangé de cet arbre, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme les dieux[1], sachant le bon et le mauvais.

La femme donc vit que le fruit de ce bois était bon à manger, et beau aux yeux, d’un aspect délectable, prit de ce fruit, en mangea, et en donna à son mari, qui en mangea.

Et les yeux de tous deux s’ouvrirent ; et, connaissant qu’ils étaient nus, ils cousirent des feuilles de figuier et s’en firent des ceintures.

Le Seigneur Dieu se promenait dans le jardin[2] au vent qui souffle après midi ; et Adam et sa femme se cachèrent de la face du Seigneur Dieu, au milieu des bois du jardin.

Et le Seigneur Dieu appela Adam, et lui dit : Adam, où es-tu[3] ?

  1. Il est difficile de savoir ce que le serpent entendait par des dieux ; de savants commentateurs ont dit que c’étaient les anges : on leur a répondu qu’un serpent ne pouvait connaître les anges ; mais par la même raison il ne pouvait connaître les dieux. Quelques-uns ont cru que la malignité du serpent voulait par la introduire déjà la pluralité des dieux dans le monde ; mais il vaut mieux s’en tenir à la simplicité du texte que de se perdre dans des systèmes. (Note de Voltaire.)
  2. Le Seigneur se promène ; le Seigneur parle ; le Seigneur souffle ; le Seigneur agit toujours comme s’il était corporel. L’antiquité n’eut point d’autre idée de la Divinité. Platon passe pour le premier qui ait fait Dieu d’une substance déliée, qui n’était pas tout à fait corps. Les critiques demandent sous quelle forme Dieu se montrait à Adam, à Ève, à Caïn, à tous les patriarches, à tous les prophètes, à tous ceux auxquels il parla de sa propre bouche. Les Pères répondent qu’il avait une forme humaine, et qu’il ne pouvait se faire connaître autrement, ayant fait l’homme à son image : c’était l’opinion des anciens Grecs, adoptée par les anciens Romains. (Id.)
  3. Il est palpable que tout ce récit est dans le style d’une histoire véritable, et non dans le goût d’une invention allégorique. On croit voir un maître puissant à qui son serviteur a désobéi : il appelle le serviteur, qui se cache, et qui ensuite s’excuse. Rien n’est plus simple et plus circonstancié ; tout est historique. Quand l’Esprit saint daigne se servir d’un apologue, il a soin de nous en avertir. Joathan, dans le livre des Juges, assemble le peuple sur la montagne de Garizim, et lui conte la fable des Arbres qui voulurent se choisir un roi, comme Ménénius raconta au peuple romain la fable de l’Estomac et des Membres. Mais, dans la Genèse, il n’y a pas un mot qui fasse sentir que l’auteur débite un apologue. C’est une histoire suivie, détaillée, circonstanciée d’un bout à l’autre.

    On trouve dans le Zend-Avesta l’histoire d’une couleuvre tombée du ciel en terre pour y faire du mal. Dans la mythologie, le serpent Ophionée fit la guerre aux dieux. Un autre serpent régna avant Saturne. Jupiter se fit serpent pour jouir de Proserpine sa propre fille : toutes allégories difficiles à entendre, supposé qu’elles soient allégories. (Id.)