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de Galaad. Or Galaad ayant eu d’autres fils de la femme, ceux-ci, étant devenus grands, chasserent Jephté de la maison comme fils d’une mere indigne. Et Jephté s’enfuit dans la terre de Tob, et se mit à la tête d’une troupe de gueux et de voleurs qui le suivirent[1]. En ce même temps les enfans d’Ammon combattant contre les enfans d’Israël, et les poursuivant vivement, les israélites se réfugierent vers Jephté, et lui dirent : soyez notre prince, et combattez pour nous. Ils s’en allerent donc avec lui en Galaad, et tout le peuple l’élut pour prince... Jepthé envoya des députés aux enfans d’Ammon, et leur fit dire : le seigneur Dieu d’Israël a détruit les amorrhéens combattants contre son peuple ; et maintenant vous voulez posséder les terres des amorrhéens ! ...[2].

  1. Tolland, Tindal, Woolston, le Lord Bolingbroke, Mallet son éditeur, pretendent prouver que les hébreux n’étaient que des arabes voleurs, sans foi, sans loi, sans principe d’humanité, dont la seule demeure était dans des cavernes dont ce pays est rempli, et qu’ils en sortaient quelquefois pour aller piller ; et que les peuples voisins les poursuivirent comme des bêtes sauvages, tantôt les punissant par le dernier supplice, tantôt les mettant en esclavage. Les juifs-mêmes avouent, dans les livres composés par eux si longtemps après, que Jephté n’était qu’un chef de voleurs, Abimélec un autre chef de voleurs, souillé du sang de toute sa famille. Ces critiques n’ont pas honte de mettre Josué, Caleb, éléazar, et Mosé lui-même, au nombre de ces voleurs. Le Lord Bolingbroke dit après Marsham, que toutes les hordes arabes de ce pays-là avaient coutume de voler au nom de leurs dieux, et que c’était un ancien proverbe arabe, Dieu me l’a donné, pour signifier je l’ai volé . Ils soutiennent qu’il n’y avait point d’autre jurisprudence parmi ces barbares, et que le fond même de toutes les loix du pentateuque se rapporte au brigandage, puisque la prétendue famille d’Abraham étant venue des bords de l’Euphrate, ne pouvait avoir rien acquis vers le Jourdain que par usurpation. Nous répondons qu’il fallait bien que les hébreux eussent déjà des loix, quand même ils auraient été aussi barbares et aussi voleurs que ces critiques les représentent ; car Jephté est chassé de la maison de son pere comme fils d’une prostituée. Ils repliquent qu’il n’y a aucune loi dans le pentateuque-même contre les enfans des prostituées, et que, selon le texte, les enfans des servantes de Rachel et de Lia hériterent comme les enfans de leurs maîtresses ; que par conséquent aucune jurisprudence n’était encore établie chez le peuple juif ; qu’il n’y eut jamais de véritable loi dans ce temps-là parmi ces peuples vagabonds que la loi du partage des dépouilles ; et qu’enfin, toute cette histoire n’est qu’un récit confus de vols et de brigandages. Calmet, sur ce passage de Jephté, avoue expressément, que le nom de voleur n’était pas aussi odieux autrefois qu’aujourd’hui . Aucune de ces raisons pour et contre ne détruit le grand principe, que Dieu donne les biens à qui il lui plait. C’est-là, selon notre avis, le grand dénouement qui résout toutes les difficultés des incrédules.
  2. cette députation et ce discours montrent évidemment, qu’il y avait déjà chez ces peuples un droit des gens reconnu. Jephté, tout chef de voleurs qu’il est, agit en prince légitime dès qu’il est reconnu chef des hébreux. Il envoie des