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Scène 4



Alzire, Zamore, Émire.



Alzire.

Tout est perdu pour toi, tes tyrans sont vainqueurs,
Ton supplice est tout prêt, si tu ne fuis, tu meurs.
Pars, ne perds point de temps, prend ce soldat pour guide.
Trompons des meurtriers, l’espérance homicide,
Tu vois mon désespoir, et mon saisissement :
C’est à toi d’épargner la mort à mon amant,
Un crime à mon époux, et des larmes au monde.
L’Amérique t’appelle, et la nuit te seconde ;
Prend pitié de ton sort, et laisse-moi le mien.

Zamore.

Esclave d’un barbare, épouse d’un chrétien,
Toi qui m’as tant aimé, tu m’ordonnes de vivre !
Eh bien j’obéirai : mais oses-tu me suivre ?
Sans trône, sans secours, au comble du malheur,
Je n’ai plus à t’offrir qu’un désert et mon cœur.
Autrefois à tes pieds, j’ai mis un diadème.

Alzire.

Ah ! Qu’était-il sans toi ? Qu’ai-je aimé que toi-même ?
Et qu’est-ce auprès de toi que ce vil univers ?
Mon âme va te suivre au fond de tes déserts.
Je vais seule en ces lieux, où l’horreur me consume,
Languir dans les regrets, sécher dans l’amertume :
Mourir dans les remords d’avoir trahi ma foi :
D’être au pouvoir d’un autre, et de brûler pour toi.
Pars, emporte avec toi, mon bonheur et ma vie,
Laisse-moi les horreurs du devoir qui me lie.
J’ai mon amant ensemble, et ma gloire à sauver ;
Tous deux me sont sacrés, je les veux conserver.

Zamore.

Ta gloire ! Quelle est donc cette gloire inconnue ?
Quel fantôme d’Europe a fasciné ta vue ?
Quoi ! Ces affreux serments qu’on vient de te dicter,
Quoi ! Ce temple chrétien que tu dois détester,
Ce dieu, ce destructeur des dieux de mes ancêtres,
T’arrachent à Zamore, et te donnent des maîtres !