Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome3.djvu/429

Cette page n’a pas encore été corrigée

Ce triste sentiment plein de honte et d’horreur,
Si légitime en moi, trouve en vous un censeur !
Vous voyez sans pitié ma douleur effrénée !

Alvarès.

Mêlez moins d’amertume à votre destinée ;
Alzire a des vertus, et loin de les aigrir,
Par des dehors plus doux vous devez l’attendrir.
Son cœur de ces climats conserve la rudesse,
Il résiste à la force, il cède à la souplesse,
Et la douceur peut tout sur notre volonté.

Gusman.

Moi que je flatte encore l’orgueil de sa beauté !
Que sous un front serein déguisant mon outrage,
À de nouveaux mépris ma bonté l’encourage !
Ne devriez-vous pas, de mon honneur jaloux,
Au lieu de le blâmer, partager mon courroux ?
J’ai déjà trop rougi d’épouser une esclave,
Qui m’ose dédaigner, qui me hait, qui me brave,
Dont un autre à mes yeux possède encore le cœur,
Et que j’aime, en un mot, pour comble de malheur.

Alvarès.

Ne vous repentez point d’un amour légitime ;
Mais sachez le régler, tout excès mène au crime.
Promettez-moi du moins de ne décider rien,
Avant de m’accorder un second entretien.

Gusman.

Eh que pourrait un fils refuser à son père ?
Je veux bien pour un temps suspendre ma colère,
N’en exigez pas plus de mon cœur outragé.

Alvarès.

Je ne veux que du temps.

(il sort.)


Gusman seul.

Quoi n’être point vengé !
Aimer, me repentir, être réduit encore
À l’horreur d’envier le destin de Zamore,
D’un de ces vils mortels en Europe ignorés,
Qu’à peine du nom d’homme on aurait honorés…
Que vois-je ! Alzire ! ô ciel…