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LKTTRE DE M. AIJJAUOTTI 313

donna l’idre d’un i^iMirc |)lus terrible et plus fier, auquel cet art pouvait être élevé.

Il semble que dans les beaux-arts on no s’aperçoit qu’il y avait des vides qu’après qu’ils sont remplis. La plupart des tragédies de ces maîtres, soit (jue l’action se passe à Rome, à Athènes, ou à Constantinople, ne contiennent qu’un mariage concerté, traversé, ou rompu. On ne peut s’attendre ; i rien de mieux dans ce genre, où l’Amour donne avec un souris ou la paix ou la guerre. Il me parait qu’on pourrait donner au drame un ton supérieur à ce- lui-ci. Lo Jules César en est une preuve ; l’autour de la tendre Zaïre no respire ici que des sentiments d’ambition, de vengeance, et de liberté.

La tragédie doit être l’imitation des grands hommes ; c’est ce qui la dis- tingue do la comédie : mais si les actions (|u’e]lo représente sont aussi des plus grandes, cette distinction n’en sera que plus marquée, et l’on peut at- teindre par ce moyen à un genre supérieur. N’admire-t-on pas davantage Marc-Antoine à Philippes qu’à Actium ? Jo ne doute pourtant pas que ces raisons ne puissent essuyer de fortes contradictions. Il faudrait avoir bien peu de connaissance de l’homme pour ne pas savoir que les pr(’jugés r(Mn- portent prescjue toujours sur la raison, et suitout les préjugés autorisés par un se.xo qui impose une loi qu’on suit toujours avec plaisir.

L’amour est depuis trop longtemps en possession du théâtre français pour souffrir (|ue d’autres passions y prennent sa place. C’est ce qui me fait croire ({ue le Jules César pourrait bien avoir h ; même soit que les ïh(’mis- tocle. les Alcibiade, et les autres grands hommes d’Athènes, admirés (W toute la terre pendant ipu’ l’ostracisme les bannissait de leur i)atrie.

M. de Voltaire a imité, en quelques endroits, Shakespeare, poëte anglais, qui a réuni dans la même pièce les puérilités les plus ridicules et les mor- ceaux les plus sublimes ; il en a fait le même usage que Virgile faisait des ouvrages d’Ennius : il a imité de l’auteur anglais les deux dernières scènes, (jui sont les plus beaux modèles d’éloquence qu’il y ait au théâtre.

Quum nuorct lutulcntus, crat ({uod tolloio velles’.

N’est-ce point un reste de barbarie en Eui’oj)e de vouloir ([ueles bornes que la politique et la fantaisie des hommes ont prescrites pour la séparation des États servent aussi de limites aux sciences et aux beaux-arts, dont les progrès pourraient s’étendre par un commerce mutuel des lumières de ses voisins ? Cette réflexion convient même mieux à la nation française qu’à toute autre : elle est dans le cas de ces auteurs dont le public exige plus, à mesure qu’il en a plus reçu ; elle est si généralement polie et cultivée qu(^ cela met en droit d’exiger d’elle que non-seulement elle approuve, mais qu’elle cherche même à s’enrichir de ce qu’elle trouve de bon chez ses voisins :

Tros, Rutulusve fuat, nuilo discrimine habebo.

1. Horace, livre I, satire iv, vers 11.