Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome3.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son château : il y a tant de gens dans le monde qui enlèvent les files ! on ne voit que cela dans les romans.

TRIGAUDIN.

Cela est vrai : je viens aussi pour vous enlever Mlle Gotton, et je vous amène un gendre.

LE BARON.

Quand est-ce donc que aurai le plaisir de voir dans mon château de la Canardière M. le comte de Fatenville ?

TRIGAUDIN.

Dans un moment il va rendre ses respects à son très-honoré beau-père.

LE BARON.

Ventre de boulets ! il sera très-bien reçu ; et je lui réponds de Gotton. Mon gendre est un homme de bonne mine, sans doute ?

TRIGAUDIN.

Assurément, et d’une figure très-agréable. Pensez-vous que j’irai donner à Mlle Gotton un petit mari haut comme ma jambe, et tel qu’on en voit plus d’un à la cour et à la ville ?

LE BARON.

Amène-t-il un grand équipage ? aurons-nous bien de l’embarras ?

TRIGAUDIN.

Au contraire, monsieur le comte hait l’éclat et le faste : il a voulu venir avec moi incognito ; ne croyez pas qu’il soit venu dans son équipage ni en chaise de poste.

LE BARON.

Tant mieux ! tous ces vains équipages ruinent et sentent la mollesse : nos pères allaient à cheval, et jamais les seigneurs de la Canardière n’ont eu de carrosse.

TRIGAUDIN.

Ni votre gendre non plus. Ne vous attendez pas à lui voir de ces parures frivoles, de ces étoffes superbes, de ces bijoux à la mode…

LE BARON.

Un buffle, corbleu ; un buffle ; voilà ce qu’il faut en temps de guerre ; mon gendre me charme par le récit que vous n’en faites.

TRIGAUDIN.

Oui, un buffle ; il en trouvera ici ; il sera encore plus content de vous que vous de lui. Le voici qui s’avance.