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vous dire que vous êtes le plus grand fat de la terre, le plus indigne de votre fortune, le cœur le plus dur, le plus…

LE COMTE.

Moi, fat !… que cela est vilain de dire des injures ! cela sent son homme de garnison. Mon Dieu, vous êtes loin d’avoir les airs de la cour !

LE CHEVALIER.

Le sang-froid de ce barbare-là me désespère. Poltron, rien ne t’émeut…

LE COMTE.

Tu t’imagines donc que tu es brave parce que tu es en colère ?

LE CHEVALIER.

Je n’y peux plus tenir ; et si tu avais du cœur…

LE COMTE, ricanant.

Oh ! oh ! foi de seigneur, cela est plaisant ; tu crois que moi, qui ai soixante mille livres de rente et qui dois épouser Mlle de la Canardière avec cinq cent mille francs de biens, je serai assez fou pour me battre contre toi qui n’as rien à risquer ! Je vois ton petit dessein ; tu voudrais par quelque bon coup d’épée arriver à la succession de ton frère aîné ; il n’en sera rien, mon cher Chonchon, et je vais monter dans ma chaise avec le calme d’un courtisan et la constance d’un philosophe. Holà ! mes gens ! Adieu, Chonchon, (À Trigaudin, qui rentre.) À ce soir, mons Trigaudin, à ce soir. Holà ! page, un miroir.


Scène V.

LE CHEVALIER, TRIGAUDIN, MERLIN.
MERLIN.

Eh bien ! monsieur, avez-vous gagné quelque chose sur l’âme dure de ce courtisan poli ?

LE CHEVALIER.

Oui, j’ai gagné le droit et la liberté de le haïr du meilleur de mon cœur.

MERLIN.

C’est quelque chose, mais cela ne donne pas de quoi vivre.

TRIGAUDIN.

Si fait, si fait, cela peut servir.