Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/99

Cette page a été validée par deux contributeurs.
89
ET SUR LE GÉNÉRAL LALLY.

seul est capable de supporter, quoiqu’il soit très-puissant dans l’Inde orientale.

Les habitants de la vaste presqu’île de l’Inde n’ont eu ni le pouvoir ni le bonheur de se mettre, comme les Japonais, à l’abri des invasions étrangères. Leurs provinces maritimes sont depuis plus de deux cents ans le théâtre de nos guerres[1].

Les successeurs des brachmanes, de ces inventeurs de tant d’arts, de ces amateurs et de ces arbitres de la paix, sont devenus nos facteurs, nos négociateurs mercenaires. Nous avons désolé leur pays, nous l’avons engraissé de notre sang. Nous avons montré combien nous les surpassons en courage et en méchanceté, et combien nous leur sommes inférieurs en sagesse. Nos nations d’Europe se sont détruites réciproquement dans cette même terre, où nous n’allons chercher que de l’argent, et où les premiers Grecs ne voyageaient que pour s’instruire.

La compagnie des Indes hollandaises faisait déjà des progrès rapides, et celle d’Angleterre se formait, lorsqu’en 1604 le grand Henri accorda, malgré l’avis du duc de Sully, le privilége exclusif du commerce dans les Indes à une compagnie de marchands plus intéressés que riches, et nullement capables de se soutenir par eux-mêmes. On ne leur donna qu’une lettre patente, et ils restèrent dans l’inaction.

Le cardinal de Richelieu créa, en 1642, une espèce de compagnie des Indes ; mais elle fut ruinée en peu d’années. Ces tentatives semblèrent annoncer que le génie français n’était pas aussi propre à ces entreprises que le génie attentif et économe des Hollandais, et que l’esprit hardi, entreprenant, et opiniâtre des Anglais.

Louis XIV, qui allait à la gloire et à l’avantage de sa nation par toutes les routes, fonda, en 1664, par les soins de l’immortel Colbert, une compagnie des Indes puissante : il lui accorda les priviléges les plus étendus, et l’aida de quatre millions tirés de son épargne, lesquels en feraient environ huit d’aujourd’hui. Mais, d’année en année, le capital et le crédit de la compagnie dépérirent. La mort de Colbert détruisit presque tout. La ville de Pondichéry sur la côte de Coromandel fut prise par les Hollandais en 1693. Une colonie établie à Madagascar fut entièrement ruinée.

Ce qui avait été la principale cause du dépérissement total de ce commerce, avant la perte même de Pondichéry, était, à ce

  1. Elles ne sont plus que des colonies de l’Angleterre.