Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Du moins M. Vermeil a trop de pudeur pour dire que M. le chevalier de Bourdeix soit un faux témoin ; mais d’autres n’ont pas tant de délicatesse. Ils le traitent de Gascon fripon qui jure pour un Languedocien fripon, parce qu’ils sont tous deux gentilshommes. Si l’on en croit cette cabale, il suffit d’être d’un sang noble pour être un coquin, et la vertu ne se réfugie que chez une entremetteuse sortie de l’Hôpital, chez le cocher Gilbert, chez un clerc de procureur vérolé, chez Du Jonquay, soldat dans les troupes des fermes, et marchandant une charge de magistrat.

À quelles ressources, hélas ! l’éloquence et la raison même sont-elles réduites quand elles combattent la vérité !

Qu’importe à toute cette grande affaire ce qu’aura conté un soir M. de Morangiés à Mme Maisonneuve et à M, Cochois ? On a la barbarie de reprocher à un maréchal de camp d’avoir vendu ses boutons de manchettes d’or, et un crayon d’or. Je ne sais pas quel jour il les a vendus ; mais son avocat assure que la cabale usurière a réduit ce gentilhomme à un état qui doit exciter la compassion des juges, et soulever tous les cœurs en sa faveur.

Voyez, messieurs, contre quels ennemis vous avez à combattre. Vous avez le roi pour vous ; il faut espérer que vous ne serez point battus. M. Linguet achèvera de détromper M. Vermeil ; il achèvera de montrer la vérité à tous les juges. On s’est plaint de sa vivacité ; mais il faut pardonner à son feu, qui brûle, en faveur de la clarté qu’il donne.

Je suppose, messieurs, que Solon, Numa, Aristide, Caton, le chancelier de L’Hospital, reviennent sur la terre, et qu’on leur donne cette cause à examiner : n’agiraient-ils pas comme M. de Sartine ? Ne diraient-ils pas : La famille Véron a confessé son délit de son plein gré : donc la famille la commis ; elle a écrit de son plein gré à son propre avocat : Rendez les billets : donc il faut les rendre ? Tel est l’arrêt de la voix publique. J’ignore si nos formes peuvent s’y opposer.

Je suis avec un profond respect, Messieurs,

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

VOLTAIRE.