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Vous l’attaquez bien mal ; vous lui dites que le grand mot devenu ineffable chez les Juifs modernes, Jaho, ou Jova, ou Jaou, ne peut être à la fois phénicien, syrien, et chaldéen[1]. Quoi ! monsieur, la Phénicie n’était-elle pas en Syrie ? La Syrie ne touchait-elle pas à la Chaldée ? Le mot Dio, Dios, Dieu, n’est-il pas le même pour le fond en Italie, en Espagne, en France ? Saint Clément d’Alexandrie, qui était Égyptien, ne nous apprend-il pas quel effet terrible ce grand mot eut en Égypte ? Faut-il vous répéter[2] que Moïse, en disant Jeova à l’oreille du roi Nekefre, le fit tomber roide mort, et le ressuscita le moment d’après[3] ? Cherchez cette anecdote dans les Stromates de saint Clément, au livre Ier. Vous la trouverez encore au chapitre xxvii d’Eusèbe, et vous aurez le plaisir d’apprendre que cela vient d’Artaban, grand homme que nous ne connaissons guère, et qui a pourtant écrit ces choses.

Voulez-vous combler votre mauvaise volonté par de misérables disputes de grammaire, après l’avoir tant signalée sur des faits importants ?

Au fond, votre livre est une facétie ; c’est un savant professeur qui représente une comédie où il fait paraître six acteurs juifs : il joue tout seul tous les rôles, comme La Rancune, dans le Roman comique, joue seul une pièce entière dans laquelle il fait jusqu’au chien de Tobie, si je ne me trompe[4]. Mais, monsieur, en jouant cette parade, vous en avez fait une atellane un peu mordante, et même cruelle. Vous la rendriez funeste, si nous vivions dans ces temps de superstition et d’ignorance où l’on cassait la tête de son voisin à coups de crucifix. Vous avez voulu exciter la colère de nos supérieurs ; mais ils ont des occupations plus importantes que celle de lire votre comédie juive : et quand ils l’auraient lue, soyez sûr qu’ils n’auraient pas traité mon ami en Amalécite. Ils sont sages, ils sont aussi indulgents qu’éclairés. Le temps des persécutions est passé ; vous ne le ferez pas revenir.

  1. Voyez tome XVII, page 39.
  2. Voyez tome XI, page 100 ; XVII, 16.
  3. C’est une plaisanterie ; le roi d’Égypte n’en mourut pas, il se trouva mal seulement. Mais qu’un mot ait la vertu de faire trouver mal les rois à qui on le dit à l’oreille, c’est déjà un assez beau miracle. (K.)
  4. Dans le chapitre II du Roman comique, La Rancune raconte qu’il a joué seul toute une pièce, « et j’ai fait en même temps le roi, la reine, et l’ambassadeur ».