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Il est vrai que les vers de l’ancien Orphée, cités par mon ami dans la Philosophie de l’Histoire, au chapitre de Cérès Éleusine[1], sont bien plus simples et plus sublimes. Je vous le répète, monsieur, ou messieurs, parce qu’il faut répéter des choses que tout le monde devrait savoir par cœur ; c’est la prière ou l’hymne d’Orphée que l’hiérophante chantait à l’ouverture des mystères.

« Marchez dans la voie de la justice ; adorez le seul maître de l’univers : il est un, il est seul, il est par lui-même ; tous les êtres lui doivent leur existence, il agit dans eux et par eux ; il voit tout, et jamais il n’a été vu des yeux mortels. »

On demandera peut-être comment Orphée put parler en cet endroit avec une grandeur si simple, et ailleurs avec une enflure qui n’appartient qu’au P. Lemoine, ou au carme[2] auteur du poème de la Madeleine. Je répondrai ingénument qu’il y a des inégalités chez tous les hommes.

Cicéron, messieurs, vous l’avouez, a dit dans ses Tusculanes que toutes les nations admettent la permanence des âmes, et que leur consentement est la loi de la nature. J’en conclus, messieurs les Juifs, qu’on peut reprocher à vos ancêtres un peu de grossièreté pour n’avoir pas connu ce que tous leurs voisins connaissaient.

Mais permettez-moi de vous dire que celui qui vous a fourni le passage de Cicéron l’a un peu dénaturé. Cicéron, dit dans la première Tusculane, liv. Ier : « Quod si omnium consensus naturæ vox est, omnesque consentiunt esse aliquid quod ad eos pertineat qui vita cesserint, nobis quoque id existimandum est. » L’abbé d’Olivet traduit, page 90 : « Puis donc que le consentement de tous les hommes est la voix de la nature, et que tous conviennent qu’après notre mort il est quelque chose qui nous intéresse, nous devons aussi nous rendre à cette opinion. »

Mais de quoi s’agit-il dans cet endroit ? De l’amour de la gloire, dont tous les hommes sont épris, et qui était la grande passion de Cicéron. Cicéron veut nous faire entendre que nous avons tous la faiblesse de nous intéresser à ce qu’on dira de nous, quand nous ne serons plus ; et que notre imagination embrasse ce fantôme, qui est son ouvrage.

On aurait dû vous dire que Cicéron, dans la moitié de ce dialogue sur la mort, qui est le premier des Tusculanes, soutient

  1. Voyez tome XI, page 106 ; Voltaire avait déjà cité un passage de l’hymne d’Orphée dans une des notes de sa tragédie d’Olympie ; voyez tome VI, pages 98-99 ; et dans ses Questions sur l’Encyclopédie ; voyez tome XVII, page 571.
  2. Pierre de Saint-Louis ; voyez la note, tome XIX, page 393.