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ressemble à Dieu : c’est l’intelligence. Nous croyons cette vérité ; mais elle n’est pas exprimée dans le texte. Si l’auteur de la Genèse avait daigné tirer la même conséquence, il est clair qu’il aurait constaté irrévocablement ce grand dogme ; et c’est précisément parce qu’il ne l’a pas fait, messieurs, que nous sommes en droit de dire qu’il laissa le temps à cette grande vérité d’être annoncée par un plus grand maître que lui.

Toute l’antiquité, excepté les brachmanes et les Chinois, croyait que le corps de l’homme était fait à l’image de la Divinité ;

Finxit in effigiem moderantum cuncta deorum.

(Ovid., Métam., I, 83.)

Ou plutôt l’antiquité faisait les dieux à l’image de l’homme. Vous trouverez cette erreur bien exprimée dans des vers de Xénophane le Colophonien, cités par saint Clément d’Alexandrie, le plus savant des Pères grecs. En voici le sens dans de mauvaises rimes que je vous prie de me pardonner.

On ne pense qu’à soi, l’amour-propre est sans bornes :
Dieu même à leur image est fait par les humains.

Si les bœufs avaient eu des mains,
Ils le peindraient avec des cornes.

C’est cette faiblesse de rapporter tout à nous-mêmes qui fit croire à tant de peuples que Dieu avait une femme et des enfants. On le peint souvent comme un géant énorme. Orphée lui-même, dont les véritables fragments ne se trouvent que chez Clément d’Alexandrie, parle ainsi de Dieu :

Sur un grand trône d’or il siège en souverain,
Au haut de la voûte étoilée ;
Sous ses pieds la terre est foulée ;
Il tient l’Océan dans sa main.

Ces imaginations si boursouflées et si chétives n’ont été que trop imitées par d’autres nations. On a toujours voulu figurer aux yeux l’Être invisible, éternel, incompréhensible, et ses ministres célestes, qui se dérobent comme lui à notre vue. C’est ainsi que les Juifs eurent deux chérubins dans le sanctuaire de leur temple, et leur donnèrent des têtes monstrueuses d’hommes et de veaux, avec des ailes aux épaules et à la ceinture. C’est ainsi que nous autres, qui avons moins d’imagination, nous nous contentons de peindre Dieu avec une longue barbe.