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tradictions : c’est à vous à vous sauver de ce piège que vous vous êtes tendu. Je me retire, de peur d’y tomber.

XXXIV. — Jephté.

Vous n’osez dire nettement que, selon le texte, Jephté n’égorgea point sa fille. La chose est constante, trop avérée par les plus grands hommes de l’Église. Vous dites que peut-être cela s’expliquait d’une autre façon ; que Jephté pourrait avoir mis sa fille en couvent ; que Louis Cappel et dom Martin ont saisi cet échappatoire. Je ne me soucie ni de Martin ni de Cappel ; je m’en tiens au texte, en qui je crois plus qu’en eux. Jephtè lui fit comme il avait voué. Et qu’avait-il voué ? La mort.

XXXV. — Le roi Agag coupé en morceaux.

Il y avait donc chez les Juifs des sacrifices de sang humain ; et celui-là est bien constaté. Vous voulez donner un autre nom à la mort du roi Agag. À la bonne heure ; nommez, si vous voulez, cette aventure une violation exécrable du droit des gens, une action horrible, une action abominable. Elle est rapportée par l’historien des rois juifs[1], qui doit faire mention des crimes comme des bonnes actions. Mais remarquez bien, en passant, qu’il y a une très-grande différence entre un livre qui contient la loi, et une simple histoire. On ne fut pas obligé, chez les Juifs, de croire les chroniques comme on fut obligé de croire le Décalogue. C’est là que se sont fourvoyés tant de braves commentateurs ; ils n’ont pas distingué Dieu qui parle, et l’homme qui raconte.

Quoi qu’il en soit, j’avoue que je ne puis m’empêcher de voir un vrai sacrifice dans la mort de ce bon roi Agag. Je dis d’abord qu’il était bon, car il était gras comme un ortolan : et les médecins remarquent que les gens qui ont beaucoup d’embonpoint ont toujours l’humeur douce. Ensuite je dis qu’il fut sacrifié, car d’abord il fut dévoué au Seigneur : or nous avons vu que « ce qui a été dévoué ne peut être racheté ; il faut qu’il meure ». Je vois là une victime et un prêtre. Je vois Samuel qui se met en prières avec Saül, qui fait amener entre eux deux le roi captif, et qui le coupe en morceaux de ses propres mains. Si ce n’est pas là un sacrifice, il n’y en a jamais eu. Oui, monsieur, de ses

  1. Livre Ier des Rois, chap. xv.