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colonie de la Grande-Bretagne. Mais, à propos de ces Madianites, dont l’horrible destruction vous plaît si fort et qui habitaient si loin d’Utrecht, deviez-vous outrager, dénoncer, calomnier votre compatriote parce qu’il a recommandé l’humanité, la tolérance ; parce qu’il l’a inspirée à des hommes puissants ; parce qu’il a rendu service au genre humain ? Il vous aurait rendu service à vous-même, si vous aviez été persécuté par les jésuites.

XXX. — Des enfants à la broche.

Il n’est que trop vrai, monsieur ou messieurs, que presque tous les peuples ont tâté de la chair humaine ; vous n’en mangez pas, vous n’êtes pas antropophages, mais vous êtes des auteurs andropekthroi un peu ennemis des hommes, si j’ose le dire. Mon ami, qui a toujours été leur ami, ne pouvait croire autrefois à l’anthropophagie. Il a été détrompé. MM. Banks, Solander, et Cook, ont vu récemment des mangeurs d’hommes dans leurs voyages. J’ai fort connu autrefois M. Bréheuf, petit-neveu de l’ampoulé traducteur de l’ampoulé Lucain, et du R. P. Brébeuf, jésuite missionnaire en Canada : il m’a conté que son grand-oncle le jésuite ayant converti un petit Canadien fort joli, ses compatriotes, très-piqués, rôtirent cet enfant, le mangèrent, et en présentèrent une fesse au R. P. Brébeuf, qui, pour se tirer d’affaire, leur dit qu’il faisait maigre ce jour-là. Le R. P. Charlevoix, qui fut mon préfet, il y a soixante et quinze ans, au collège de Louis le Grand, et qui était un peu bavard, a conté cette aventure dans son histoire du Canada.

Vous rapportez vous-mêmes que mon ami vit à Fontainebleau, en 1725, une belle sauvage du Mississipi, qui avoua avoir dîné quelquefois de chair humaine. Cela est vrai, et j’y étais, non pas au dîner de la sauvage, mais à Fontainebleau[1].

Vous savez, messieurs, ce que Juvénal[2] rapporte des Gascons et des Basques, qui avaient eu une cuisine semblable. Jules César, le grand César, notre vainqueur et notre législateur, a daigné nous apprendre dans son livre VII (de Bello Gallico), que, lorsqu’il assiégeait Alexia[3] en Bourgogne, le marquis de Crito-

  1. Voyez tome XII, page 388, et tome XVII, page 203.
  2. Satire xv, vers 93 et suiv.
  3. Aujourd’hui Sainte-Reyne, près Flavigny, département de la Côte-d’Or. (B.) — On sait la longue controverse à laquelle la détermination d’Alésia a donné lieu.