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victime des jésuites ; mais à peine les Athéniens eurent-ils commis ce crime qu’ils en sentirent l’horreur. Ils punirent Anytus et Mélitus ; ils élevèrent un temple à Socrate. On ne doit jamais rappeler le crime des Athéniens contre Socrate, sans rappeler leur repentir.

Vous imputez bien faussement l’intolérance aux Romains. Vous citez contre mon ami ces paroles qui sont dans son Traité de la Tolérance[1] : « Deos peregrinos ne colunto ; — qu’on ne rende point de culte à des dieux étrangers. » C’est le commencement d’une ancienne loi des douze Tables ; il ne rapportait que la partie de ce fragment dont il avait besoin alors, et même il se servit du mot peregrinos, qui est l’équivalent d’advenas. Sa mémoire le trompa ; je vous l’avoue comme il me l’a avoué. Voici l’énoncé de la loi telle que Cicéron nous l’a conservée : « Separatim nemo habessit deos, neve novos, sed ne advenas, nisi publice adscitos, privatim colunto. — Que personne n’ait des dieux en particulier, ni des dieux nouveaux, à moins qu’ils ne soient publiquement admis. »

Or les dieux étrangers furent presque tous naturalisés à Rome par le sénat[2]. Tantôt Isis eut des temples, tantôt elle fut chassée quand ses prêtres eurent scandalisé le peuple romain par leurs débauches et par leurs friponneries ; elle fut encore rappelée. Tous les cultes furent tolérés dans Rome.

Dignus Roma locus quo deus omnis eat.

(Ovid., Fast., IV, 270.)

Les Romains permirent que les Juifs, reçus pour leur argent dans la capitale du monde, célébrassent la fête d’Hérode : Herodis venere dies[3] ; et cela même pendant que Vespasien préparait la ruine de Jérusalem. Mon ami a fait voir que les armées romaines commençaient toujours par adorer les dieux des villes qu’elles assiégeaient, et qu’il y avait une communauté de dieux chez tous les peuples policés de l’Europe. Il n’y eut que le dieu des Juifs que les Romains ne saluèrent pas, parce que les Juifs ne saluaient pas ceux de Rome.

Comment avez-vous pu dire, monsieur, que les Romains étaient intolérants ; eux qui donnèrent tant de vogue, tant d’éclat

  1. Tome XI, page 147 ; et XXV, 43.
  2. Voyez tome XXV, page 43 ; et XXVIII. 157.
  3. Perse, satire v, vers 180.