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XXI. — Tolérance.

Vous donnez ce grand précepte à mon ami : « Sortez enfin du cercle étroit des objets qui vous entourent, et ne jugez pas toujours de notre gouvernement par le vôtre. » Ah ! monsieur, qui jamais avait mieux mis vos leçons en pratique, et plus hautement, que celui à qui vous les donnez ? On lui en a fait si souvent un crime ! on lui a tant reproché d’envisager toujours le genre humain plus que sa patrie !

Et dans quelle vue parlez-vous à cet homme qui, à l’exemple du grand Fénelon, a embrassé tous les hommes dans son esprit de tolérance, dans son zèle et dans son amour ? Dans quelle vue, dis-je, lui ordonnez-vous de sortir du cercle étroit où vous le supposez renfermé ? Quel est votre objet ? C’est de lui prouver que l’intolérance est une vertu nécessaire et divine.

Et pour lui prouver ce dogme infernal, que sans doute vous n’avez point dans le cœur et qu’un inquisiteur n’oserait avouer aujourd’hui, vous lui dites que l’intolérance régnait chez les peuples les plus anciens et les plus vantés. Selon vous, Abraham fut persécuté chez les Chaldéens, ce que l’Écriture ne dit pas, et ce qui serait une étrange raison pour persécuter chez nous. Selon vous, Zoroastre persécuta des nations, le feu et le fer dans les mains ; vous entendez apparemment le dernier des Zoroastres, qui, au lieu d’être persécuteur, fut tant persécuté, tant calomnié chez Darius. Vous louez les Éphésiens d’avoir opprimé Héraclite, leur compatriote, qu’ils n’opprimèrent jamais. Vous regardez la guerre des amphictyons comme une guerre de religion, comme une guerre pour des arguments de l’école ; et vous la révérez sous cet aspect, et vous la croyez sacrée. Ce n’était pourtant qu’une guerre très-ordinaire pour des champs usurpés ; elle fut appelée sacrée, parce que ces champs étaient du territoire d’Apollon.

Vous cherchez dans les républiques de la Grèce des exemples de la légèreté, de la superstition, et de l’emportement de ces peuples ; vous en rassemblez quatre ou cinq dans l’espace de trois cents années, pour démontrer que la Grèce était intolérante, et qu’il faut l’être. On démontrerait de même qu’il faut faire la guerre civile par l’exemple de la Fronde, de la Ligue, de la fureur des Armagnacs et des Bourguignons.

L’exemple de Socrate est encore plus mal choisi. Il fut la victime de la l’action d’Anytus et de Mélitus, comme Arnauld fut la