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capta ferum victorem cepit[1], comme Horace le disait à Auguste ; mais enfin il y a plus de cent mille Grecs dans la seule ville de Stamboul : Athènes, Lacédémone, Corinthe, et l’Archipel, sont encore peuplés de Grecs, et, pour parler des petites nations, les Arméniens asservis font le commerce comme les Juifs dans toute l’Asie, et ne s’allient communément qu’entre eux, ainsi que les Cophtes, les Brames, les Banians, les Parsis, et les Juifs. Tous les peuples qui existent triomphent des siècles.

XX. — Ordre de tuer.

Dans votre lettre troisième, monsieur, où vous faites un magnifique éloge de l’intolérance, vous avez oublié de citer le fameux passage du Deutéronome[2]-. « S’il se lève parmi vous un prophète qui ait vu, et qui ait prédit un signe et un prodige, et si ses prédictions sont accomplies, et s’il vous dit : Allons, suivons des dieux étrangers, etc… que ce prophète… soit massacré… Si votre frère, fils de votre mère, ou votre fils, ou votre fille, ou votre femme qui est entre vos bras, ou votre ami que vous chérissez comme votre âme, vous dit : Allons, servons des dieux étrangers ignorés de vous et de vos parents, égorgez-le sur-le-champ, frappez le premier coup, et que le peuple frappe après vous. »

Vous avez frémi, monsieur, si vous êtes chrétien ; vous avez tremblé que vos juifs, dont vous vous êtes fait secrétaire, n’abusassent contre les chrétiens de ce passage terrible. En effet, le fameux rabbin Isaac du xve siècle, l’employa dans son Rempart de la foi, pour tâcher de disculper ses compatriotes du déicide dont ils eurent le malheur d’être coupables. Ce rabbin prétend que la loi mosaïque est éternelle, immuable (lisez son chapitre vingtième) ; et de là il conclut que ses ancêtres se conduisirent dans leur déicide comme leur loi l’ordonnait expressément. Mais enfin, puisque vous n’avez pas parlé de cet effrayant passage, je n’en parlerai pas. Je me féliciterai avec vous d’être né sous la loi de grâce, qui ne veut pas qu’on plonge le couteau dans le cœur de son ami, de son fils, de sa fille, de son frère, de sa femme chérie ; et qui, au contraire, donne l’exemple de porter sur ses épaules la brebis égarée. Êtes-vous brebis, monsieur, je suis prêt à vous porter ; mais si je suis brebis égarée, portez-moi, pourvu que ce ne soit pas à la boucherie.

  1. Livre II, épître i, vers 156.
  2. Chapitre xiii, versets 1-9.