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mule pas toutes ces vérités pour offenser la nation juive, mais pour la plaindre.

III. — Si les Juifs ècrivrent d’abord sur des cailloux.

Le secrétaire des six Juifs prétend que leurs pères avaient dans un désert toutes les commodités pour écrire à peu près comme on les a de nos jours. Il reprend vivement mon ami d’avoir cru qu’on gravait alors sur la pierre[1]. Cependant le livre de Josué est le garant de ce que mon ami a avancé, car il est dit : « Josué brûla la ville de Haï, la réduisit en cendres, et en fit un monceau de ruines éternelles ; fit pendre le roi, et éleva un autel de pierres au Seigneur le Dieu d’Israël sur le mont Hébal ; il fit cet autel de pierres brutes, comme il était écrit dans la loi de Moïse, et il y offrit des holocaustes et des victimes pacifiques, et il écrivit sur les pierres le Deutéronome[2]. » (Josué, chap. iv.)

IV. — Des gens massacrés pour avoir grasseyé en parlant.

Je suis obligé de vous suivre, et de passer avec vous d’un article de maçonnerie à un objet de morale. Il s’agit de quarante-deux mille de vos frères, les Juifs de la tribu d’Éphraïm, qui furent tous égorgés par leurs frères des autres tribus à un des gués de la petite rivière du Jourdain. On leur criait : « Prononcez shibolet, épi de blé. » Ces malheureux, qui grasseyaient et qui ne pouvaient dire shibolet, disaient siboleth, et on les égorgea comme des moutons… Quelle horreur y a-t-il donc, monsieur ? quelle mauvaise intention ? quelle faute à dire qu’ils furent massacrés pour avoir grasseyé[3] ? L’horreur, l’abomination n’est-elle pas que des frères aient massacré tant de frères pour quelque cause que ce puisse être ?

  1. Voyez tome XI, page 115 ; XXIV, 324 ; XXV, 9, 67, 374.
  2. Le secrétaire, qui parait très-instruit des anciens usages et des arts de l’antiquité, aurait bien dû nous instruire comment on écrivait sur des cailloux non taillés, et comment cette écriture n’était pas effacée par le sang des victimes, qui coulait continuellement sur cet autel de pierres brutes. Cette recherche eût été plus nécessaire que l’affreuse malignité d’imputer à mon ami je ne sais quelles brochures où il est dit que Thaut a composé des livres en caractères alphabétiques, écrits sur autre chose que sur des tables de pierre et de bois, il y a environ cinq mille ans. (Note de Voltaire.) — Voyez tome XXVI, page 417.
  3. Tome XI, page 116 ; XX, 158 ; XXIV, 412 ; et, XXX, les notes sur le livre de Josué, dans la Bible enfin expliquée.