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des Nombres. Il est vrai que Dieu vous l’a promise, cette terre ; mais il est faux que vous l’ayez jamais possédée… L’Évangile me promet la possession du royaume des cieux, dont il n’est pas fait la moindre mention dans vos écritures…

« Vous avez commis beaucoup de grands crimes, ô Juifs ! et vous êtes devenus esclaves de tous vos voisins, etc., etc., etc. »

Après ce témoignage, mon ami a pu se permettre quelques petites libertés sur le peuple de Dieu[1], à l’exemple de saint Jérôme. Mais quand il est allé trop loin (ce qu’il ne faut jamais faire), je l’en ai charitablement averti, et il en a demandé pardon à M. Pinto[2] juif de Bordeaux, fort estimé des chrétiens.

II. — Du cadran d’Ezèchias, et de l’ombre qui recule, et de l’astronomie juive.

Le secrétaire chrétien des six Juifs accuse mon ami d’avoir dit que les anciens Hébreux, les gens d’au delà, les passagers (car c’est ce qu’Hébreux signifie), n’étaient pas si savants en astronomie[3] que MM. Cassini, Lemonier, Lalande, Bailly, Le Gentil, etc.[4]. Je tiens qu’il a raison : ce qui m’induit à le croire, c’est que je ne vois pas seulement le nom d’heure dans les cinq premiers livres conservés par ce peuple ; aucune division du jour n’y est jamais marquée. De la Genèse aux Machabées il n’est parlé d’aucune éclipse, et vous voyez que, depuis quatre mille ans, les Chinois n’ont jamais manqué d’observer[5] et de rapporter dans leur histoire toutes les éclipses qu’}} ils ont aperçues. Ce n’est point d’ailleurs insulter une nation que de dire qu’elle n’était point autrefois mathématicienne. Il paraît que le roi Ézéchias n’en savait pas tant que vos Juifs d’Espagne[6], qui aidèrent depuis le roi Alphonse X à construire ses fameuses tables astronomiques.

Le prophète Isaïe veut faire un prodige qui assure Ézéchias

  1. Voltaire avait accusé les juifs de rogner les espèces ; voyez tome XXV, p. 126 ; XXVIII, 439, 545. Il leur en a demandé pardon en 1771 ; voyez tome XIX, p. 528.
  2. Voyez, dans la Correspondance, la lettre à Pinto, du 21 juillet 1762.
  3. Voyez tome XIX, pages 506 et 521.
  4. Le secrétaire chrétien a cité en faveur de la science des Juifs l’autorité de Scaliger ; il ignore que Scaliger, fort savant d’ailleurs, a eu le malheur de trouver la quadrature du cercle ; qu’il nia la précession des équinoxes, et qu’il écrivit beaucoup d’injures contre le P. Clavius, et beaucoup de bévues contre la réforme du calendrier. (K.)
  5. Voyez tomeXI, pages 55, 165.
  6. Ces Juifs d’Espagne étaient des Arabes ; voyez tome XXIV page 43.