Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/492

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

anges, rapportée dans le livre d’Enoch, que l’apôtre saint Jude fait allusion quand il dit, dans son épître, chapitre ie, « qu’Enoch, septième homme après Adam, prophétisa sur ces étoiles errantes, auxquelles une tempête noire est réservée pour l’éternité[1] ». Il dit dans ce même chapitre que « ces anges sont liés de chaînes à tout jamais[2], quoique l’archange Michaël n’osât maudire le diable en lui disputant le corps de Moïse ».

C’est au P. Calmet, de notre congrégation, d’expliquer ces mystères ; c’est à lui seul de montrer comment la chute des anges n’avait été annoncée chez nous que dans un livre apocryphe. Je dois me borner à vous dire que cette chute était articulée depuis des siècles dans le Shastabad des anciens brachmanes.

Vous savez, monsieur, qu’il y a dans ce temps-ci des doctes qui raisonnent, ce qui n’était pas autrefois si commun ; vous savez que, parmi nos doctes raisonneurs modernes, il s’en trouve quelques-uns d’assez téméraires pour oser croire que le berceau du christianisme fut dans l’Inde, il y a cinq mille ans à peu près ; et voici comme ils tâchent d’argumenter. « L’origine de tout, disent-ils, selon nous et selon les Indiens, c’est le diable. Car nous disons que le diable, s’étant révolté dans le ciel avant qu’il y eût des hommes sur la terre, et ayant été mis en enfer, il en sortit pour venir tenter nos premiers parents dès qu’il sut qu’ils existaient. Il fut la cause du péché originel, et ce péché originel fut la cause de tout ce qui est arrivé depuis : donc le diable est la cause de tout. » Mais puisqu’il n’est question, dans aucun endroit de la Genèse, ni du diable, ni de son enfer, ni de son voyage sur la terre, il est évident que toute cette théologie est tirée de la théologie des anciens brachmanes, qui seuls avaient écrit l’histoire du diable sous le nom de Moisazor. Ce Moisazor avait commencé par être favori de Dieu, puis avait été damné, puis était venu sur la terre.

Nos commentateurs tirent de ce diable chassé du ciel un serpent ; ensuite ils en firent Satan, Belphégor, Belzébuth, etc. ; ils ont fini par l’appeler Lucifer, d’un mot latin qui veut dire l’étoile de Vénus.

Et pourquoi ont-ils appelé le diable étoile de Vénus ? C’est que, dans un ancien écrit juif[3] on a déterré un passage traduit en latin. Ce passage regarde la mort d’un roi de Babylone, de qui les Juifs avaient été esclaves. Les Juifs se réjouissaient d’avoir

  1. Verset 13. (Note de Voltaire.)
  2. Verset 6. (Id.)
  3. Isaïe. (Id.)