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puen[1] arriva de Judée à la Chine, guidé par des nuées bleues, par des vents, et par des cartes hydrographiques, sous le règne de Taï-cum-veu-huamti », qui n’est connu de personne ; c’était, dit le texte syriaque, dans l’année mil quatre-vingt-douze d’Alexandre aux deux cornes[2] : c’est l’ère des Séleucides, et elle revient à la nôtre 636. Les jésuites, et surtout le P. Kircher, commentateurs de cette pièce curieuse, disent que par la Judée il faut entendre la Mésopotamie, et qu’ainsi le juif Olopuen était un très-bon chrétien qui venait planter la foi dans le royaume de Cathai, ce qui est prouvé par la croix de Malte. Mais ces commentateurs ne songent pas que les chrétiens de la Mésopotamie étaient des nestoriens qui ne croyaient pas la sainte Vierge mère de Dieu. Par conséquent, en prenant Olopuen pour un Chaldéen dépéché par les nuées bleues pour convertir la Chine, on suppose que Dieu envoya exprès un hérétique pour pervertir ce beau royaume.

Voilà pourtant ce qu’on nous a conté sérieusement ; voilà ce qui a si longtemps occupé les savants de Rome et de Paris, voilà ce que le P. Kircher, l’un de nos plus intrépides antiquaires, nous raconte dans sa Sina illustrata. Il n’avait point vu la pierre, mais on lui en avait donné la copie d’une copie, Kircher était à Rome, et n’avait jamais été à la Chine, qu’il illustrait ; et ce qu’il y a de bon et d’assez curieux à mon gré, c’est que le P. Sémédo, qui avait vu ce beau monument à Sigan-fou, le rapporte d’une façon, et le P. Kircher d’une autre.

Voici l’inscription de Sémédo, telle qu’il l’imprima en espagnol dans son histoire de la Chine, à Madrid, chez Jean Sanchez, en 1642.

« Ô que l’Éternel est vrai et profond, incompréhensible et spirituel ! En parlant du temps passé, il est sans principe ; en parlant du temps à venir, il est sans fin. Il prit le rien, et avec lui il fit tout. Son principe est trois en un : sans vrai principe il arrangea les quatre parties du monde en forme de croix. Il remua le chaos, et les deux principes en furent tirés. L’abîme éprouva le changement, le ciel et la terre parurent. »

Après avoir ainsi fait parler l’auteur de l’inscription chinoise dans le style des personnages de Cervantes et de Quevedo ; après avoir passé du péché d’Adam au déluge, et du déluge au Messie, il vient enfin au fait. Il déclare que du temps du roi Taïcum-veu--

  1. Voyez tome XI, page 180.
  2. Alexandre aux deux cornes signifie Alexandre vainqueur de l’Orient et de l’Occident. (Note de Voltaire.)