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Chine le R. P. Ricci[1] ; ce nom est respectable, mais n’est pas heureux[2] : il avait trouvé le moyen de s’introduire à la Chine avec un jésuite portugais, nommé Sémédo, et notre R. P. Trigaut, autre nom célèbre, qu’on a cru significatif. Ces trois missionnaires faisaient bâtir, en 1625[3], une maison et une église auprès de la ville de Sigan-fou ; ils ne manquèrent pas de trouver sous terre une tablette de marbre, longue de dix palmes, couverte de caractères chinois très-fins, et d’autres lettres inconnues, le tout surmonté d’une croix de Malte toute semblable à celle que d’autres missionnaires avaient découverte auparavant dans le tombeau de l’apôtre saint Thomas, sur la côte de Malabar[4]. Les caractères inconnus furent reconnus bientôt pour être de l’ancien hébreu ressemblant au syriaque : cette tablette disait que la foi chrétienne avait été prêchée à Sigan-fou, et dans toute la province de Kensi[5], dès l’an de notre salut 636 ; la date de ce monument n’est que de l’année 782 de notre ère ; de sorte que ceux qui érigèrent autrefois ce marbre attendirent cent quarante-six ans que la chose fût bien constatée pour la certifier à la postérité.

L’authenticité de cette pièce était confirmée par plusieurs témoins qui gravèrent leurs noms sur la pierre : on sent bien que ces noms ne sont aisés à prononcer ni en italien ni en français. Pour plus grande sûreté, outre les noms gravés des premiers témoins oculaires de l’an de grâce 782, on a signé sur une grande feuille de papier soixante et dix autres noms de témoins de bonne volonté, comme Aaron, Pierre, Job, Lucas, Matthieu, Jean, etc., qui tous sont réputés avoir vu tirer le marbre de terre à Sigan-fou, en présence du frère Ricci, l’an 1625, « et qui ne peuvent avoir été ni trompeurs ni trompés ».

Maintenant il faut voir ce qu’attestent les anciens témoins gravés de notre année 782, et les nouveaux témoins en papier de notre année 1625 ; ils déposent « qu’un saint homme nommé Olo-

  1. Quatre dictionnaires, intitulés Dictionnaires des grands hommes, le font mourir à l’âge de cinquante-huit ans. L’abbé Prévost, dans sa compilation de voyages, le fait vivre jusqu’à quatre-vingt-huit. On ment beaucoup sur les grands hommes. (Note de Voltaire.) — C’est l’abbé Prévost qui se trompe. Matthieu Ricci, né à Macerata en 1552, est mort le 11 mai 1610. (B.)
  2. Allusion aux malheurs de Laurent Ricci, général des jésuites, mort en prison le 22 novembre 1775 ; voyez ci-dessus, page 286.
  3. Il y a ici faute. Elle existe dans l’édition originale. On a vu, par une des notes de cette page, que Ricci était mort en 1610.
  4. L’apôtre saint Thomas était charpentier : il alla à pied au Malabar, portant un soliveau sur l’épaule. (Note de Voltaire.)
  5. Sigan-fou est la capitale de Kensi. (Id.)