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À M. ***


SUR LES ANECDOTES[1]


(1775)




C’est un petit mal, il est vrai, monsieur, qu’on ait attribué au pape Ganganelli et à la reine Christine[2] des lettres que ni l’un ni l’autre n’ont pu écrire. Il y a longtemps que des charlatans trompent le monde pour de l’argent. On doit y être accoutumé depuis que le grave historien Flavius Josèphe nous a certifié[3] qu’on voyait encore de son temps un bel écrit du fils de Seth, c’est-à-dire d’un propre petit-fils d’Adam, sur l’astrologie ; qu’une partie de ce livre était gravée sur une colonne de pierre, pour résister à l’eau quand le genre humain périrait par le déluge ; et l’autre partie, sur une colonne de brique, pour résister au feu quand l’incendie universel détruirait le monde. On ne peut dater de plus haut les mensonges par écrit. Je crois que c’est l’abbé de Tilladet qui disait : « Dès qu’une chose est imprimée, pariez, sans l’avoir lue, qu’elle n’est pas vraie ; je serai toujours de moitié avec vous, et ma fortune est faite, » Que voulez-vous en effet qu’on pense de tous ces libelles sans nombre, de ces ana, de ces satires de la cour, qui amusent et fatiguent la France de-

  1. La première édition que je connaisse de ce morceau se trouve à la suite de l’édition originale qui parut, en 1776, du Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de la Henriade. Les éditeurs de Kehl l’ont imprimé avec la date de 1774. D’autres éditeurs lui donnent celle de 1775, sans doute parce que ce fut en 1775, à la fin de l’année, que parurent les Lettres intéressantes du pape Clément XIV. On trouvera dans la Correspondance, à la date du 2 mai 1776, une lettre de Voltaire où il prouve que ces Lettres de Clément XIV sont supposées. On sait depuis longtemps qu’elles sont de Caraccioli. (B.) — Et celles de Christine, de Lacombe.
  2. Voyez les notes, tome XVII, page 219 ; et XXIV, 479.
  3. Antiq. jud., I, ii.