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Son grand ministre Colbert ne sacrifia point l’agriculture au luxe, comme on l’a tant dit ; mais il se proposa d’encourager le labourage par les manufactures, et la main-d’œuvre par la culture des terres. Depuis 1662 jusqu’à 1672, il fournit un million de livres numéraires de ce temps-là chaque année pour le soutien du commerce. Il fit donner deux mille francs de pension à tout gentilhomme cultivant sa terre qui aurait eu douze enfants, fussent-ils morts, et mille francs à qui aurait eu dix enfants. Cette dernière gratification fut accordée aussi aux pères de famille taillables.

Il est si faux que ce grand homme abandonnât le soin des campagnes que, le ministère anglais sachant combien la France avait été dénuée de bestiaux dans les temps misérables de la Fronde, et proposant, en 1667, de lui en vendre d’Irlande, il répondit qu’il en fournirait à l’Irlande et à l’Angleterre à plus bas prix.

Cependant c’est dans ces belles années qu’un Normand, nommé Bois-Guillebert, qui avait perdu sa fortune au jeu, voulut décrier l’administration de Colbert, comme si les satires eussent pu réparer ses pertes. C’est ce même homme qui fit depuis la Dîme royale[1] sous le nom du maréchal de Vauban ; et cent barbouilleurs de papier s’y trompent encore tous les jours. Mais les satires ont passé, et la gloire de Colbert est demeurée.

Avant lui on n’avait nul système d’amélioration et de commerce. Il créa tout ; mais il faut avouer qu’il fut arrêté, dans les œuvres de sa création, par les guerres destructives que l’amour dangereux de la gloire fit entreprendre à Louis XIV. Colbert avait fait passer au conseil un édit par lequel il était défendu, sous peine de mort, de proposer de nouvelles taxes et d’en avancer la finance pour la reprendre sur le peuple avec usure. Mais à peine cet édit fut-il minuté que le roi eut la fantaisie de punir les Hollandais, et cette vaine gloire de les punir obligea le ministre d’emprunter, dans le cours de cette guerre inutile, quatre cents millions de ces mêmes traitants qu’il avait voulu proscrire à jamais. Ce n’est pas assez qu’un ministre soit économe, il faut que le roi le soit aussi.

Vous savez mieux que moi, monsieur, combien les campagnes furent accablées après la mort de ce ministre. On eût dit que c’était à son peuple que Louis XIV faisait la guerre. Il fut réduit

  1. Vauban est l’auteur du Projet de dixme royale : cela ne fait plus doute aujourd’hui.