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PETIT ÉCRIT


SUR L’ARRÊT DU CONSEIL DU 13 SEPTEMBRE 1774


QUI PERMET LE LIBRE COMMERCE DES BLÉS DANS LE ROYAUME[1]


(1775)




Je ne suis qu’un citoyen obscur d’une petite province très-éloignée ; mais je parle au nom de cette province entière, dont tous les habitants signeront ce que je vais dire.

Nous gémissons depuis quelques années sous la nécessité qui nous était imposée de porter notre blé au marché de la chétive habitation qu’on nomme capitale. Dans vingt villages, les seigneurs, les curés, les laboureurs, les artisans, étaient forcés d’aller ou d’envoyer à grands frais à cette capitale : si on vendait chez soi à son voisin un setier de blé, on était condamné à une amende de cinq cents livres, et le blé, la voiture et les chevaux, étaient saisis au profit de ceux qui venaient exercer cette rapine avec une bandoulière.

Tout seigneur qui, dans son village, donnait du froment ou de l’avoine à un de ses vassaux était exposé à se voir puni comme un criminel : de sorte qu’il fallait que le seigneur envoyât ce blé à quatre lieues au marché, et que le vassal fît quatre lieues pour le chercher et quatre lieues pour le rapporter à sa porte, où il l’aurait eu sans frais et sans peine. On sent combien une telle vexation révolte le bon sens, la justice et la nature.

  1. Des lettres patentes du 2 novembre, portant confirmation de l’arrêt du conseil du 13 septembre, furent enregistrées au parlement le 19 décembre.

    Le Petit Écrit a été imprimé, en 1775, dans le Mercure, second volume de janvier, pages 160-66. Une édition publiée à part forme sept pages in-8o. Les initiales qu’on lit à la fin signifient : François de Voltaire, seigneur de Ferney et Tournai, gentilhomme Ordinaire du Roi. (B.)