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DE L’ÂME[1]


Par SORANUS, médecin de Trajan.



I.

Pour découvrir ou plutôt pour chercher quelque faible notion sur ce qu’on est convenu d’appeler âme, il faut d’abord connaître, autant qu’il est possible, notre corps, qui passe pour être l’enveloppe de cette âme, et pour être dirigé par elle. C’est à la médecine qu’il appartient de connaître le corps humain, puisqu’elle travaille continuellement sur lui.

Si la médecine pouvait être une science aussi certaine que la géométrie, elle nous ferait voir tous les ressorts de notre être ; elle nous dévoilerait notre premier principe aussi clairement qu’elle nous a fait connaître la place et le jeu de nos viscères.

Mais le plus habile anatomiste, quand il ne peut plus rien discerner, est obligé d’arrêter sa main et sa pensée. Il ne peut deviner où commence le mouvement dans le corps humain : il suit un nerf jusque dans le cervelet, où est son origine ; mais cette origine se perd dans ce cervelet, et c’est dans cette source même où tout aboutit que tout échappe à nos regards. Nous avons épié l’œuvre de la nature jusqu’au dernier point où il est permis à l’homme de pénétrer ; mais nous n’avons pu savoir le secret de Dieu.

Il n’y a point aujourd’hui de médecin à Rome et à Athènes qui ne sache plus d’anatomie qu’Hippocrate ; mais il n’y en a pas

  1. Les éditeurs de Kehl ont, dans leur table chronologique, rangé cet opuscule à l’année 1774, en donnant toutefois cette date comme incertaine. Je n’ai rien trouvé de décisif. Mais je dois remarquer que cet opuscule n’est que dans le dix-huitième volume des Nouveaux Mélanges, volume qui porte la date de 1776.

    Soranus, dont Voltaire prend ici le nom, était un médecin de Trajan ; on ne croit pas que ce médecin soit l’auteur des écrits qui nous sont parvenus sous le nom de Soranus. (B.)