Je me souviens d’avoir entendu réciter ces vers, dans une tragédie fort extraordinaire[1] :
Autour d’un vase affreux dont il était rempli,
Au fond de ton palais j’ai rassemblé leur troupe ;
Réduisez ces vers en prose, et voyez si vous pouvez en faire quelque chose d’intelligible. Comparez-les ensuite aux vers d’Eschyle sur un sujet semblable, traduits par Boileau dans le Traité du sublime[2] :
Épouvantent les dieux de serments effroyables ;
Près d’un taureau mourant qu’ils viennent d’égorger,
C’est à peu près la même idée que celle des vers précédents ; mais quelle différence ! Vous trouverez ici non-seulement de grandes images et de l’harmonie, mais encore toute l’exactitude de la prose la plus châtiée.
Le judicieux Boileau avait donc très-grande raison de dire[3] :
Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme.
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Je pense qu’il n’y a aucun bon vers, même avec la construction la plus hardie, qui ne résiste à l’épreuve que M. de Voltaire propose, et qui ne sorte triomphant de cet examen rigoureux. Je t’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle[4] ! est peut-être la construction la plus hasardée qu’on ait jamais faite. C’est un vers, si on compte douze syllabes ; c’est de la prose, si on en détache le vers suivant. Mais, dans l’un et l’autre cas, qu’aurais-je fait fidèle est mille fois plus énergique que si on disait : qu’aurais-je fait si tu avais été fidèle ! Ce tour si nouveau enlève ; il ne faudrait pas