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personne[1], qui fit l’aumône aux pauvres, qui aurait payé toutes ses dettes s’il avait eu de l’argent, qui fonda l’École militaire, qui a bâti le beau pont de Neuilly, sur lequel vous vous promenez ; et qui avait un valet de garde-robe auquel je dois ma cure. »

Cette oraison funèbre me plut beaucoup, parce qu’elle ne prétendait à rien, qu’elle partait du cœur, et surtout qu’elle était courte.

J’ai assisté depuis à la vôtre. Je ne vous dis point qu’elle parut longue ; mais l’assemblée ne trouva pas bon que vous commençassiez par parler de vous : « Quand j’annonçais, il y a peu de temps, la divine parole…[2] »

Tout le monde convint qu’il ne fallait pas débuter, dans l’éloge d’un roi, par celui de messire Jean de Beauvais. Nous aimons la parole divine ; l’égoïsme la profane.

Vous dites que Dieu seul possède l’immortalité[3] ; et nos âmes, mon révérend père, et nos âmes ! ne passent-elles pas pour être immortelles aussi ? On aurait souhaité que vous eussiez dit : « Dieu qui possède et qui donne l’immortalité. » Car enfin, le diable, comme vous savez ; le diable, qui nous inspire tant de passions ; le diable, qui est partout, a la réputation d’être immortel.

Vous vous comparez à Jérémie, mon révérend père : Jérémie vit d’abord à quatorze ans a une verge veillante et une marmite bouillante[4] ». Dans un âge plus mûr, il fut accusé d’avoir trahi son roi pour le roi de Babylone. Qu’avez-vous de commun avec Jérémie ? Auriez-vous manqué à votre roi comme ce Juif ? Avez-vous vu comme lui une verge veillante et une marmite bouillante ?

Vous comparez une auguste princesse[5], qui a quitté la cour

    pages in-8o. L’ouvrage doit être du mois d’auguste 1774. (B.) — Après avoir, en 1748, fait le Panégyrique de Louis XV (voyez tome XXIII, page 263), Voltaire avait fait son Éloge funèbre en 1774 (voyez ci-dessus, page 291).

  1. Celle de Fontenoy et celle de Laufeldt.
  2. Tel est, en effet, le début de l’Oraison funèbre de Louis XV, par l’évêque de Senez.
  3. Page 6 de l’édition in-4o de l’Oraison funèbre.
  4. Jérémie, ch. i, v. 11, 12 et 13. (Note de Voltaire.)
  5. La princesse Louise-Marie, quatrième fille de Louis XV, née le 15 juillet 1737, entrée en 1770 aux carmélites de Saint-Denis, y fit profession le 22 septembre 1771, et mourut le 23 décembre 1787. Dix-sept ans d’austérités monastiques n’avaient point effacé de son esprit l’idée des grandeurs humaines. Dans le délire qui précéda sa mort, elle croyait donner des ordres à son écuyer ; et Mme Campan, sur le témoignage de Louis XVI, raconte que les dernières paroles qu’elle prononça en mourant furent celles-ci : Au paradis, vite, vite, au grand galop ! (B.)