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Cette rencontre parut ne lui faire aucune impression ; mais, depuis ce moment, son teint sembla un peu obscurci ; et deux jours après son chirurgien-dentiste, nommé Bourdet, homme très-expérimenté, en examinant ses gencives leur trouva un caractère qui annonçait une maladie dangereuse. Il en avertit un ministre d’État. Sa remarque fut négligée ; bientôt cette maladie se déclara, et le roi mourut.

Il est à croire qu’il n’avait eu, cinquante ans auparavant, qu’une petite vérole volante, qui n’est pas la petite vérole proprement dite : car le nombre des maladies qui affligent le genre humain est si énorme que nous manquons de termes pour les exprimer. Il en est des maux du corps comme de ceux de l’âme : point de langue qui peigne par la parole toutes ces tristes nuances. Mais il résulte de cet exemple que la petite vérole tue, et que l’inoculation sauve.

M. le duc d’Orléans[1] donna une grande et salutaire leçon à la famille royale en faisant inoculer ses enfants. Le duc de Parme fit bientôt après sur son fils une épreuve aussi heureuse.

Le roi de Danemark, et ensuite le roi de Suède et ses frères, en subissant l’inoculation, ont excité tout le Nord à les imiter, et en assurant leur précieuse vie ont conservé celle de la sixième partie de leurs sujets.

L’impératrice, reine de Hongrie, a fait le même bien à l’Allemagne.

L’impératrice de la vaste Russie, en essayant sur elle-même l’inoculation qu’elle préparait à son fils unique, en lui donnant la petite vérole de son propre ferment, en faisant parcourir tous ses États par des chirurgiens inoculateurs, a sauvé la vie au quart de ses peuples, qui mouraient auparavant de cette peste continuelle répandue sur toute la terre, et plus funeste en Russie qu’ailleurs.

Enfin, pour remonter à la source de ces grands exemples, l’épouse du roi d’Angleterre Georges second[2], en donnant la première cette variole artificielle aux princes ses enfants, pour leur épargner la naturelle, fut la première qui sauva l’Europe chrétienne.

Les Turcs, que leur système de la prédestination absolue, et plus encore leur négligence, empêchent de se préserver de la

  1. Voyez tome XXIV, page 408.
  2. Wilhelmine-Dorothée-Charlotte de Brandebourg d’Anspach, à laquelle Voltaire avait dédié son édition de la Henriade, Londres, 1728, in-4o.