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Il en est de même de la Russie polonaise[1] : on y a laissé quelques jésuites latins, que l’Église grecque ne craint pas, et que le gouvernement redoute encore moins. Un empereur ou une impératrice russe est le chef suprême de la religion dans cet empire d’onze cent mille lieues carrées. On n’y connaît point deux puissances : quiconque même y voudrait établir cette doctrine des deux puissances y serait puni comme coupable de haute trahison et de sacrilége, et il y en a eu des exemples. Ce frein que la loi met aux bouches controversistes les retient ; mais ce qui est tolérable, du moins pour un temps, dans ces pays immenses, deviendrait très-pernicieux dans le nôtre. Les Russes et les Prussiens sont tous soldats, et n’ont ni jansénistes ni molinistes ; la France en a, pour son malheur et pour sa honte. Ce feu est presque éteint ; je ne pense pas qu’un gouvernement aussi sage que le nôtre veuille le rallumer.

Les ex-jésuites qui ont du mérite et des talents peuvent les manifester dans tous les genres : on les a délivrés d’une chaîne insupportable qu’ils s’étaient mise au cou dans l’imprudence de la jeunesse. Ils s’étaient enrôlés soldats d’un despote étranger ; on leur a donné leur congé ; on a brisé leurs fers : ils seront citoyens. Ne vaut-il pas mieux être citoyen que jésuite ?

Toute l’Europe catholique demande à grands cris qu’on diminue le nombre des ordres, et celui des moines de chaque ordre. Si on pouvait seulement rassembler sous ses yeux une trentaine de ces instituts bizarres, gens tondus, gens demi-tondus, chaussés, déchaux, avec braies, sans braies, gris, noirs, bai bruns, pièce sans barbe, barbe sans pièce, on rirait longtemps d’une telle mascarade ; et qui contemplerait les maux produits par leurs disputes pleurerait.

Plusieurs provinces en Espagne, en France, en Italie, manquent de cultivateurs : on veut partout plus de mains qui travaillent, et moins d’oisifs qui argumentent ; c’est ce qu’on crie à Paris, à Madrid, à Rome. Partout le gouvernement, attentif aux clameurs des peuples et aux besoins publics, s’occupe du soin d’arrêter les progrès du mal, si l’on ne peut l’extirper. L’âge de faire vœu d’être inutile est du moins reculé de quelques années ; quelques couvents ont été supprimés, et vous croyez qu’on en va ériger un de jésuites dans Paris ! Non, ne le craignez pas. On peut souffrir de vieux abus par paresse, mais on ne se tourmente pas pour en introduire un nouveau.

  1. Voyez la note, tome XVI, page 425.