Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
273
SUR L’HISTOIRE GÉNÉRALE.

cadavres la France entière pendant plus de quarante années, il faut avouer que cet effroyable abus de la religion arma les mains qui commirent les meurtres de la Saint-Barthélemy. Nous convenons que Catherine de Médicis, le duc de Guise, le cardinal de Birague, et le maréchal de Retz, qui conseillèrent ces massacres, n’avaient pas plus de religion que monsieur l’abbé, qui en veut diminuer l’horreur. Il nous reproche[1] d’avoir appelé Birague cardinal, sous prétexte qu’il ne fut décoré de la pourpre romaine qu’après avoir répandu le sang des Français. Mais ne dit-on pas tous les jours que le cardinal de Retz fit la première guerre de la Fronde, quoiqu’il ne fût alors que coadjuteur de Paris ? Que fait aux massacres de la Saint-Barthélemy le quantième du mois où un Birague reçut sa barrette ? Est-ce par de tels subterfuges qu’on peut défendre une si détestable cause ? Oui, le fanatisme religieux arma la moitié de la France contre l’autre ; oui, il changea en assassins ces Français aujourd’hui si doux et si polis, qui s’occupent gaiement d’opéras-comiques, de querelles de danseuses, et de brochures. Il faut le redire cent fois ; il faut le crier tous les ans, le 24 auguste, ou le 24 août, afin que nos neveux ne soient jamais tentés de renouveler religieusement les crimes de nos détestables pères.

Que ce fut une affaire de proscription.

Quelle affaire ! proscrire ses propres sujets, ses meilleurs capitaines, ses parents, le prince de Condé, notre Henri IV, depuis restaurateur de la France, notre héros, notre père, qui n’échappa qu’à peine à cette boucherie ! On dit une affaire de finance, une affaire d’honneur ou d’intérêt, affaire de barreau, affaire au conseil, affaires du roi, hommes d’affaires. Mais qui avait jamais entendu parler d’affaires de proscription ? Il semble que ce soit une chose simple et en usage. Il n’est que trop vrai que ce fut une proscription ; et c’est ce qui excitera toujours nos cris et nos larmes.

Mais on laissa au peuple fanatique et barbare le soin de choisir ses victimes. Le frère pouvait assassiner son frère ; le fils plonger le couteau dans les mamelles qui l’avaient allaité. Il n’est que trop vrai qu’on égorgea des femmes et des enfants. « Les charrettes chargées de corps morts de damoiselles, femmes, filles et enfants, étaient menées et déchargées dans la rivière[2]. » Quelle affaire !

  1. Dissertation, page 3.
  2. Texte rapporté page 30 de la Dissertation sur la Saint-Barthélemy.