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FRAGMENT

et boit un verre d’eau avec précipitation ; le chagrin l’avait déjà consumé ; il se jette dans un fauteuil, dit quelques mots mal articulés, et expire. Le roi s’en réjouit, et dit que cette année l’avait délivré de trois hommes qu’il ne pouvait plus souffrir : Seignelai, La Feuillade et Louvois. »

Il est inutile de remarquer que MM. de Seignelai et de Louvois ne moururent point la même année. Une telle remarque serait convenable s’il s’agissait d’une ignorance ; mais il est question du plus grand des crimes dont un enragé ose soupçonner un roi honnête homme ; et ce n’est pas la seule fois qu’il a osé parler de poison dans ses abominables libelles. Il dit dans un endroit[1] que le grand-père de l’impératrice-reine avait des empoisonneurs à gages ; et, dans un autre endroit, il s’exprime sur l’oncle de son propre roi d’une façon si criminelle, et en même temps si folle, que l’excès de sa démence, prévalant sur celui de son crime, il n’en a été puni que par six mois de cachot.

Mais, à peine sorti de prison, comment répare-t-il des crimes qui, sous un ministère moins indulgent, l’auraient conduit au supplice ? Il fait publier un libelle intitulé Lettres de M. de La Beaumelle, à Londres, chez Jean Nourse, 1763. C’est là surtout qu’il aggrave ses calomnies contre le prédécesseur de son roi.

Ce n’est pas assez pour ce monstre de soupçonner Louis XIV d’avoir empoisonné son ministre. L’auteur du Siècle de Louis XIV avait dit dans un écrit à part[2] : « Je défie qu’on me montre aucune monarchie sur la terre dans laquelle les lois, la justice distributive, les droits de l’humanité, aient été moins foulés aux pieds, et où l’on ait fait de plus grandes choses pour le bien public, que pendant les cinquante-cinq années que Louis XIV régna par lui-même.»

Cette assertion était vraie ; elle était d’un citoyen, et non d’un flatteur. La Beaumelle, l’ennemi de l’auteur du Siècle de Louis XIV, qui n’a jamais eu que de tels ennemis ; La Beaumelle, dis-je, dans sa xxiiie lettre, page 88, dit : « Je ne puis relire ce passage sans indignation, quand je me rappelle toutes les injustices générales et particulières que commit le feu roi. Quoi ! Louis XIV était juste, quand il ramenait tout à lui-même ; quand il oubliait (et il oubliait sans cesse) que l’autorité n’était confiée à un seul que pour la félicité de tous ? » Et, après ces mots, c’est un détail affreux.

  1. Tome II, pages 347 et 348 du Siècle de Louis XIV, falsifié par La Beaumelle. (Note de Voltaire.)
  2. Supplément au Siècle de Louis XIV ; voyez tome XV, page 114.