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SUR L’HISTOIRE GÉNÉRALE.

Et sur quoi fonde-t-il cette noire imposture ? Voici ses paroles : « Le roi entra chez Mme  de Maintenon, et, dans le premier mouvement de sa joie, lui dit : « Vos prières sont exaucées, madame ; Vendôme tient mes ennemis. Lille sera délivrée, et vous serez reine de France. » Ces paroles furent entendues et répétées ; Monseigneur les sut : il trembla pour la gloire de la famille royale, et, pour parer le coup qui la menaçait, il écrivit à monseigneur le duc de Bourgogne, qui aimait son père autant qu’il craignait son aïeul, qu’à son retour il trouverait deux maîtres. Mme  la duchesse de Bourgogne conjura son époux de ne pas contribuer à lui donner pour souveraine une femme née tout au plus pour la servir. Le prince, ébranlé par ces instances, empêcha que Lille ne fût secourue. »

On demande où ce calomniateur du père du roi a trouvé ces paroles de Louis XIV : « Vous serez reine de France. » Était-il dans la chambre ? Quelqu’un les a-t-il jamais rapportées ? Ce mensonge n’est-il pas aussi méprisable que celui qu’il ajoute ensuite[1] : « De là ces billets que les ennemis jetaient parmi nous : « Rassurez-vous, Français, elle ne sera pas votre reine, nous ne lèverons pas le siége ? »

Comment une armée jette-t-elle des billets dans une ville assiégée ? Peut-on joindre plus de sottises à plus d’horreurs ?

Après avoir tenté de jeter cet opprobre sur le père du roi, il vient à son grand-père ; il veut lui donner des ridicules ; il lui fait épouser[2] Mlle  Chouin ; il lui donne un fils de la Raisin au lieu d’une fille ; et, aussi instruit des affaires des citoyens que de celles de la famille royale, il avance que ce fils serait mort dans la misère si le trésorier de l’extraordinaire des guerres, La Jonchère, ne lui avait pas donné sa sœur en mariage. Enfin, pour couronner cette impertinence, il confond ce trésorier avec un autre La Jonchère[3], sans emploi, sans talents et sans fortune, qui a donné, comme tant d’autres, un projet ridicule de finance en quatre petits volumes.

Il fallait bien qu’ayant ainsi calomnié tous les princes il portât sa fureur sur Louis XIV. Rien n’égale l’atrocité avec laquelle il parle du marquis de Louvois[4] ; il ose dire que ce ministre craignait que le roi ne l’empoisonnât[5]. Ensuite voici comme il s’exprime : « Au sortir du conseil il rentre dans son appartement,

  1. Mémoires de Maintenon, tome IV, page 110. (Note de Voltaire.)
  2. Ibid., page 200. (Id.)
  3. Voyez tome XXIII, page 58.
  4. Mémoires de Maintenon, tome III, page 269. (Note de Voltaire.)
  5. Ibid., page 271. (Id.)