Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
SUR L’HISTOIRE GÉNÉRALE.

barbares vomis de la Scythie, et changé les chaires d’instruction en trônes.

Nous avons respecté ces dominations nouvelles dans notre histoire, et nous avons même remarqué combien notre antique barbarie les avait rendues nécessaires. Quelques jésuites, et surtout je ne sais quel Nonotte, écrivirent alors contre nous avec plus d’amertume que de science. Ils nous accusèrent d’avoir été peu respectueux envers saint Pierre et saint Charlemagne. Ils ne se doutaient pas alors que les successeurs de Charlemagne et de Pierre aboliraient l’ordre des jésuites, et que les généraux casseraient leurs soldats mal payés. Quoique nous eussions parlé de l’établissement du christianisme avec le plus profond respect, on nous accusa cependant d’en avoir un peu manqué.

On voulut nous écraser sous soixante volumes de Pères de l’Église, pour nous prouver que saint Pierre avait été à Rome, sans que saint Luc et saint Paul en eussent jamais parlé ; qu’il avait été sur le trône épiscopal de Rome, quoique assurément il n’y eût point de trône épiscopal en ce temps-là, ni même d’évêque d’aucun diocèse. La principale démonstration du voyage de saint Pierre à Rome se tirait d’une lettre qu’il avait écrite et datée de Babylone : or Babylone signifiait évidemment Rome, comme Falaise signifie Perpignan[1]. Les autres preuves étaient fondées sur certains contes d’un Abdias, d’un Marcel, et d’un Hégésippe, qui n’étaient dignes assurément d’être ni pères ni fils de l’Église.

Ces faiseurs de Mille et une Nuits nous contaient donc que Simon Pierre[2], étant venu à Rome (quoique sa mission fût pour les circoncis), y rencontra le magicien Simon, qui se changeait tantôt en brebis et tantôt en chèvre. Ce Simon d’abord lui envoya faire un compliment par un de ses chiens, auquel Simon Pierre répondit fort poliment. Ils se brouillèrent ensuite pour un cousin de l’empereur Néron, qui était mort. Simon, qu’on appelait vertu de Dieu, défia saint Pierre à qui ressusciterait le mort. Simon le fit remuer ; mais Pierre le fit marcher, et gagna la gageure. Ensuite ils se défièrent au vol en présence de l’empereur. Simon vola dans les airs mieux que Dédale ; mais Pierre pria le Seigneur si ardemment de faire tomber Simon vertu-dieu, comme Icare, qu’il tomba, et se cassa les jambes. Néron, indigné de voir son sorcier estropié, fit crucifier Pierre les pieds en haut, et couper la tête à Paul, etc., etc. Cela arriva la dernière année

  1. Voyez tome XXVI, page 545 ; et XXVII, 44, 198.
  2. Voyez tome XX, page 596 ; et XXVII, 542.