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FRAGMENT

cours dans une génération ; elle s’établit dans la seconde ; elle devient respectable dans la troisième ; la quatrième lui élève des temples. Il n’y avait pas dans toute l’antiquité profane un seul temple, une seule fête, un seul collége de prêtres, un seul usage qui ne fût fondé sur une sottise. Tel fut le genre humain ; et c’est sous ce point de vue que nous l’envisageâmes.

Quelle pouvait être l’origine du conte d’Hérodote, que le soleil, en onze mille années, s’était couché deux fois à l’orient ? Où Lycophron avait-il pris qu’Hercule, embarqué sur le détroit de Calpé, dans son gobelet, fut avalé par une baleine ; qu’il resta trois jours et trois nuits dans le ventre de ce poisson, et qu’il fit une belle ode dès qu’il fut sur le rivage ?

Nous ne trouvons d’autre raison de tous ces contes que dans la faiblesse de l’esprit humain, dans le goût du merveilleux, dans le penchant à l’imitation, dans l’envie de surpasser ses voisins. Un roi égyptien se fait ensevelir dans une petite pyramide de douze à quinze pieds, un autre veut être placé dans une pyramide de cent, un troisième va jusqu’à cinq ou six cents. Un de tes rois est allé dans les pays orientaux par mer, un des miens est allé dans le soleil, et a éclairé le monde pendant un jour. Tu bâtis un temple à un bœuf, je vais en bâtir un pour un crocodile. Il y a eu dans ton pays des géants qui étaient les enfants des génies et des fées, nous en aurons qui escaladeront le ciel et qui se battront à coups de montagnes.

Il était bien plus aisé, et même plus profitable, d’imaginer et de copier tous ces contes que d’étudier les mathématiques. Car avec des fables on gouvernait les hommes, et les sages furent presque toujours méprisés et écrasés par les puissants. On payait un astrologue, et on négligeait un géomètre. Cependant il y eut partout quelques sages qui firent des choses utiles ; et c’était là ce que la personne illustre dont nous parlons voulait connaître.

L’Histoire universelle[1] anglaise, plus volumineuse que le discours de l’éloquent Bossuet n’est court et resserré, n’avait point encore paru. Les savants, qui travaillèrent depuis avec un juif et deux presbytériens à ce grand ouvrage, eurent un but tout différent du nôtre. Ils voulaient prouver que la partie du mont Ararat sur

  1. La première édition de l’Histoire universelle (en anglais), 1736 et années suivantes, est en vingt-six volumes in-4o ; l’édition de 1747 a soixante-sept volumes in-8o. Il existe de cet ouvrage deux traductions françaises. Le principal auteur de l’ouvrage anglais est le personnage connu sous le nom de Psalmanazar, qui a un article curieux dans la Biographie universelle. (B.)