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DE MONTBAILLI.

damné à une peine en subisse une plus terrible. C’est présenter requête contre la plus belle des vertus, la clémence. Cette jurisprudence d’anthropophages était inconnue aux Romains. Il était permis d’appeler à César pour mitiger une peine, mais non pour l’aggraver. Une telle horreur ne fut inventée que dans nos temps de barbarie. Les procureurs de cent petits souverains, pauvres et avides, imaginèrent d’abord de faire prononcer en dernière instance des amendes plus fortes que dans les premières, et bientôt après ils requirent que les supplices fussent plus cruels, pour avoir un prétexte d’exiger des amendes plus fortes.

Le conseil souverain d’Artois qui siégeait alors, et qui fut cassé l’année suivante, se fit un mérite d’être plus sévère que le tribunal de Saint-Omer. Les lecteurs qui pourront jeter les yeux sur ce mémoire, et qui n’auront pas lu ce que nous écrivîmes dans son temps[1] sur cette horrible affaire, ne pourront démêler comment les juges d’Arras, sans interroger les témoins nécessaires, sans confronter les accusés avec les autres témoins entendus, osèrent condamner Montbailli à être rompu vif et à expirer dans les flammes, et sa femme à être brûlée vive.

Il faut donc qu’il y ait des hommes que leur profession rende cruels, et qui goûtent une affreuse satisfaction à faire périr leurs semblables dans les tourments ! Mais que ces êtres infernaux se trouvent si souvent dans une nation qui passe depuis environ cent ans pour la plus sociable et la plus polie, c’est ce qu’on peut à peine concevoir. On avait, il est vrai, les exemples absurdes et effroyables des Calas, des Sirven, des chevaliers de La Barre ; et c’est précisément ce qui devait faire trembler les juges d’Arras : ils n’écoutèrent que leur illusion barbare.

L’épouse de Montbailli, âgée de vingt-quatre ans, était grosse, comme on l’a déjà dit[2]. On attendit ses couches pour exécuter son arrêt, et elle resta chargée de fers dans un cachot d’Arras. Son mari fut reconduit à Saint-Omer pour y subir son supplice.

Ce n’est que chez nos anciens martyrs qu’on retrouve des exemples de la patience, de la douceur, de la résignation de cet infortuné Montbailli ; protestant toujours de son innocence, mais ne s’emportant point contre ses juges, ne s’en plaignant point, levant les yeux au ciel, et ne lui demandant point vengeance.

Le bourreau lui coupa d’abord la main droite. « On ferait bien de la couper, dit-il, si elle avait commis un parricide. » Il

  1. La Méprise d’Arras ; voyez tome XXVIII, page 425.
  2. Voyez tome XXVIII, page 434.