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SUR L’INDE.

Brama. Enfin, n’étant ni mahométans, ni brames, ni lamistes, ils ne reconnaissent qu’un seul Dieu sans aucun mélange. C’est la plus ancienne des religions ; c’est celle des Chinois et des Scythes, et sans doute la meilleure pour quiconque ne connaît pas la nôtre. Il fallait que ce prêtre lama qui a été le législateur des Seïkes fût un vrai sage, puisqu’il n’abusa pas de la confiance de ce peuple pour le tromper et pour le gouverner. Au lieu d’imiter les prestiges du grand lama, qui règne au Thibet, il fit voir aux hommes qu’ils peuvent se gouverner par la raison. Au lieu de chercher à les subjuguer, il les exhorta à être libres, et ils le sont. Mais jusqu’à quand le seront-ils ? Jusqu’au temps où les esclaves de quelque Abdala, supérieurs en nombre, viendront, le cimeterre à la main, les rendre esclaves comme eux. Des dogues à qui leur maître a mis un collier de fer peuvent étrangler des chiens qui n’en ont pas.

Tel est en général le sort de l’Inde : il peut intéresser les Français, puisque, malgré leur valeur et malgré les soins de Louis XIV et de Louis XV, ils y ont essuyé tant de disgrâces. Il intéresse encore plus les Anglais, puisqu’ils se sont exposés à des calamités pareilles, et que leur courage a été secondé de la fortune[1].

FIN DES FRAGMENTS HISTORIQUES SUR L’INDE.
  1. Nous ferons remarquer que, dans ces Fragments, Voltaire ne cite pas une seule fois l’Histoire philosophique des Indes de l’abbé Raynal, laquelle avait paru en 1770, c’est-à-dire trois ans auparavant. Un passage de la Correspondance nous fait même croire que le patriarche ne connaissait pas cet ouvrage en 1773. Il est vrai que la grande édition du livre de Raynal ne date que de 1774. (G. A.)