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FRAGMENTS HISTORIQUES

produisait à peine douze laks de roupies ; les Anglais lui en donnaient vingt-six de leur province de Bengale. C’était tout ce qui restait à l’héritier d’Aurengzeb, le roi le plus riche de la terre. Tout le reste de l’Inde était partagé entre diverses puissances, et cette division affermissait le royaume que l’Angleterre s’est formé dans l’Inde.

Parmi toutes ces révolutions, la ville impériale de Delhi tomba entre les mains de ce fils de Jaffer, de ce Suraia-Doula, vaincu par le colonel Clive, et relevé de sa chute. Les révolutions rapides changeaient continuellement la face de l’empire. Ce fils de Jaffer eut encore la province d’Oud, qui touche à celle d’Allabad, où le Grand Mogol était retiré, et au Bengale, où les Anglais dominaient.

Patna, au nord du Gange, appartenait à un souba des Patanes. Les Gates, que nous avons vus[1] descendre de leurs rochers pour augmenter les troubles de l’empire, avaient envahi la ville impériale d’Agra. Les Marattes s’étaient emparés de toute la province, ou, si l’on veut, du royaume de Guzarate, excepté de Surate et de son territoire.

Un nabab était maître du Décan, et tantôt il combattait les Marattes, tantôt il s’unissait avec eux pour attaquer les Anglais dans leurs possessions d’Orixa et du Bengale. Le tyran Abdala possédait tout le pays situé entre Candahar et le fleuve Indus.

Tel était l’état de l’Inde vers l’an 1770 ; mais, depuis le commencement de tant de guerres civiles, il s’était formé une nouvelle puissance qui n’était ni tyrannique comme celle d’Abdala et des autres princes, ni trafiquante du sang humain comme celle des Marattes, ni établie à la faveur du commerce comme celle des Anglais. Elle est fondée sur le premier des droits, sur la liberté naturelle. C’est la nation des Seïkes, nation aussi singulière dans son espèce que celle des Vishnaporiens. Elle habite l’orient de Cachemire, et s’étend jusqu’au delà de Lahor. Libre et guerrière, elle a combattu Abdala, et n’a point reconnu les empereurs mogols, sûre d’avoir beaucoup plus de droit à l’indépendance, et même à la souveraineté de l’Inde, que la famille tartare de Tamerlan, étrangère et usurpatrice.

On nous dit qu’un des lamas du grand Thibet donna des lois et une religion aux Seïkes vers la fin de notre dernier siècle. Ils ne croient ni que Mahomet ait reçu un livre assez mal fait de la main de l’ange Gabriel, ni que Dieu ait dicté le Shasta-bad à

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