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FRAGMENTS HISTORIQUES

représenté chez les Indiens dans l’attitude de la propagation, et par conséquent serait parmi nous un objet obscène et abominable. Cette figure est révérée dans plusieurs de leurs temples. Il va même, nous dit-on, des filles que leurs mères y conduisent pour lui offrir leur virginité avant d’être mariées ; quelques-unes, dit-on, par le besoin d’une opération physique, quelques autres par dévotion.

Nous avons toujours présumé que le culte du Lingam dans l’Inde, celui du Phallus en Égypte, celui même de Priape à Lampsaque, ne put être l’effet d’une débauche effrontée, mais bien plutôt de la simplicité et de l’innocence[1]. Dès que les hommes surent tailler des figures, il était très-naturel qu’ils consacrassent à la Divinité ce qui perpétuait l’humanité. Nous répéterons ici qu’il y a plus de piété, plus de reconnaissance à porter en procession l’image du dieu conservateur que du dieu destructeur ; qu’il est plus humain d’arborer le symbole de la vie que l’instrument de la mort, comme faisaient les Scythes, qui adoraient une épée, et à peu près comme nous faisons aujourd’hui dans notre Occident, en insultant Dieu dans nos temples, où nous entrons armés comme si nous allions combattre, et où quelques évêques d’Allemagne célèbrent une fois l’an la messe l’épée au côté.

Saint Augustin nous instruit que, dans Rome, on faisait quelquefois asseoir la mariée sur le sceptre énorme de Priape[2].

Ovide ne parle point de cette cérémonie dans ses Fastes, et nous ne connaissons aucun auteur romain qui en fasse mention. Il se peut que la superstition ait ordonné cette posture à quelques femmes stériles. Nous ne voyons pas même que les Romains aient jamais érigé un temple à Priape. Il était regardé comme une de ces divinités subalternes dont on tolérait les fêtes plutôt qu’on ne les approuvait. Nous avons dans nos provinces un saint dont nous n’osons écrire le nom monosyllabe, à qui plus d’une femme

  1. Voyez tome XII, page 372 ; et XIX, 57.
  2. « Sed quid hoc dicam ? cum ibi sit Priapus nimius masculus super cujus immanissimum et turpissimum phallum nova nupta sedere jubeatur, more honestissimo et religiosissimo matronarum. » (De Civitate Dei, lib. VI, cap. ix.)

    Giri traduit : « Mais que dis-je ? on trouve en ce lieu-là même un autre dieu que l’on nomme mâle par excellence : c’est ce dieu dont un objet infâme ayant, comme ces idolâtres croyaient, la force d’empêcher la malignité des charmes, c’était une coutume reçue avec tant de religion et de chasteté, parmi les honnêtes femmes, d’y faire asseoir l’épousée. » Il est difficile de traduire plus infidèlement, plus obscurément, plus mal. On croit avoir en français une traduction de la Cité de Dieu, et on n’en a point. (Note de Voltaire.)